OuLiPo Show : Des mots qui sonnent
Scène

OuLiPo Show : Des mots qui sonnent

Plus de vingt-cinq ans après sa création, l’OuLiPo Show fait sonner et résonner une jouissive langue façonnée par les contraintes auxquelles se sont soumis Raymond Queneau et consorts. Regard dans le rétroviseur avec son metteur en scène, Denis Marleau

De l’avant-garde, Denis Marleau en mange en 1988. Dadaïsme, surréalisme, futurisme et constructivisme russe alimentent la pensée et aiguisent le regard du jeune metteur en scène. Que les expériences de l’OuLiPo (Ouvroir de littérature potentielle) atterrissent sur sa table de travail s’inscrit dans cette même logique, le groupe d’écrivains fondé en 1960 (afin de faire germer de la contrainte des textes) ayant en commun avec ces mouvements intellectuels phares du vingtième siècle un désir d’abattre les digues d’une littérature engoncée dans ses codes et ses petites habitudes bourgeoises. L’OuLiPo Show naîtra cette année-là de la fascination de l’homme de théâtre pour les Exercices de style de Raymond Queneau, une seule et même banale histoire (celle d’un homme qui croise le chemin d’un jeune homme au long cou dans l’autobus) déclinée de 99 façons différentes que se mettront en bouche Carl Béchard, Pierre Chagnon, Bernard Meney et Danièle Panneton. «Dans le contexte théâtral montréalais des années 1980, c’était singulier, se souvient Marleau. On n’avait pas beaucoup vu de spectacles sans décors ni artifices, reposant presque seulement sur la musicalité des mots, sur le plaisir formel de faire entendre le langage en dehors de tout principe psychologique de jeu.»

Collage d’une partie substantielle des Exercices et de divers textes issus des travaux oulipiens écrits, entre autres, par Italo Calvino, François Le Lionnais et Georges Perec (auteur du mythique La disparition, roman ne contenant pas une fois la lettre e), l’OuLiPo Show renaissait en 2011 avec à son bord la même distribution, qui se serait souvenue de sa partition comme on se souvient d’une ritournelle d’enfance. «Le spectacle résiste au temps parce qu’il ne s’inscrit pas dans une fiction, mais plutôt dans la virtuosité et dans la performance des comédiens. Ça crée une sorte de jubilation dans la salle à tout coup.»

On s’étonne de voir le nom de Michel Tremblay, qu’on ne savait pas oulipien, au générique de cette grande fête de la parole paradoxalement décloisonnée par la contrainte. Marleau raconte: «Nous sommes allés manger ensemble un soir, après une représentation à Paris, et en sortant je lui ai lancé: "Ce serait le fun d’avoir un texte de toi qui jouerait une variation nouvelle de l’exercice de style de Queneau." Il nous l’a envoyé quelques jours après. C’est complètement dans la logique de Queneau, on retrouve les mêmes motifs, la même histoire, mais dans une version joualisante.»

Metteur en scène aujourd’hui applaudi jusqu’à la Comédie-Française, Denis Marleau se souvient de l’OuLiPo Show comme d’un moment charnière «Ce spectacle m’a appris à lire des textes. Ce qui est important dans notre travail, c’est de pouvoir exhiber pour le spectateur la richesse du langage qui est structuré chaque fois de façon singulière. C’est le langage qui permet de jeter autant de regards sur la petite histoire d’un homme qui rencontre un autre homme dans l’autobus. C’est le langage qui permet de jeter autant de regards sur le réel, si vous préférez.»