Rhinocéros : Des origines du totalitarisme
Recruté par le Trident, Alexandre Fecteau se frotte à Rhinocéros, pièce phare du théâtre de l’absurde. Oubliez H1N1: épidémie de rhinocérite en vue.
Devant l’invitation qu’on s’apprêtait à lui faire de monter un spectacle au Trident, la hantise d’Alexandre Fecteau se formulait ainsi: savoir s’il allait aimer le texte proposé. «On se demande si on a le droit de dire non ou pas…»
Son travail de mise en scène avait été remarqué avec Changing Room, L’étape et, plus récemment, La date. Et le voilà, donc, sur la grande scène du Trident, avec entre ses mains ravies le Rhinocéros d’Ionesco. Un plaisir qui, bien sûr, n’enlève rien à la pression sur ses épaules, celle de «faire honneur à ce texte qu’autant de monde aime».
Car qui dit texte connu dit attentes. Le jeune metteur en scène a néanmoins préféré garder toute sa marge de manœuvre: «Je me suis dit: "Un texte, c’est un texte", et moi je fais un spectacle. Je ne détruis pas le texte intégral, qui va demeurer; j’en fais une lecture, c’est tout. Je ne me verrais pas ne pas prendre position en montant un spectacle comme ça.»
Pas question, donc, de minimiser les risques. «La lecture qu’on fait… ce n’est pas tiède, pas du tout, comme proposition.» Exit, par conséquent, le contexte connu de la Seconde Guerre mondiale et la montée du nazisme, dont la pièce se veut l’allégorie. «Je pense qu’Ionesco serait content qu’on actualise son texte; je ne pense pas qu’il voudrait qu’on parle du passé, mais plutôt qu’on parle au conditionnel: ça "pourrait" arriver, et non "c’est" arrivé. On pourrait encore basculer dans le totalitarisme, la barbarie, et renoncer à son humanité. Parce que c’est ça, à la base, Rhinocéros.»
«Mes pièces, je les envisage toujours en termes d’expérience du spectateur, poursuit le codirecteur du collectif Nous sommes ici. Avant l’histoire, je pense toujours à ce que je souhaite qu’il lui arrive dans sa soirée. Dans ce cas-ci, je veux que les gens se laissent prendre au jeu de notre rhinocérite. Qu’ils la trouvent d’abord séduisante, ensuite horrible, mais qu’à un certain moment ils s’y laissent aller.»
Le totalitarisme semble loin, dans le rétroviseur. Mais la souche n’a pas été éradiquée, et l’éclosion guette. Quant à savoir à quelle rhinocérite nous sommes exposés aujourd’hui, Alexandre Fecteau demeure coi. Ou plutôt, il se contente de ceci: «J’ai cherché par où nous serions le plus susceptibles de céder. J’ai cherché dans nos propres faiblesses.»