Scalpée : Paradis perdu
Scène

Scalpée : Paradis perdu

À des lieues de ses habitudes, Anne-Marie Olivier plonge avec Scalpée dans la noirceur et la tragédie. Chronique d’un changement de cap annoncé.

De façon laconique, Anne-Marie Olivier décrit Scalpée comme «une tragédie contemporaine sur la perte irrémédiable».

Avec plus de mots, l’auteure et comédienne, qui en décembre prenait également la barre du Trident, parlera toutefois d’un processus guidé par les intuitions: «Le texte final est apparu à peu près à deux semaines de la première; on a vraiment avancé ensemble dans le noir, avec une lampe de poche. On a essayé d’éclairer les ténèbres avec une lampe de poche.»

Concrètement, l’équipe de création s’est penchée sur le milieu carcéral au Québec, qui fait peu de bruit malgré tout ce qui s’y joue: «Ce qui nous intéressait par rapport à ça, c’est quand deux personnes se retrouvent face à face dans un rapport animal.»

La pièce en vient aux racines aussi, thème cher à l’auteure de Québec, ainsi qu’à ce paradoxe qui nous ramènera à la crise d’Oka et «au fait qu’on ait tous du sang métis, mais qu’on soit en même temps parfois racistes envers les Amérindiens».

Finalement, Anne-Marie Olivier nomme la dépendance; dans ce spectacle pour trois comédiens, sur la scène qu’elle partage avec Édith Patenaude et Steve Gagnon, on rencontrera autant de rapports à ce mal qui pourrait être celui de notre siècle: le jeu en ligne, le sexe et l’alcool.

Surprise, en somme, pour ceux qui avaient été charmés par des spectacles comme Gros et détail ou Annette: «C’est quand même mon écriture, donc il y a une continuité; mais c’est vraiment nouveau. Il ne faudrait pas s’attendre à quelque chose de cute. […] On s’est rendu compte que ce spectacle-là, c’était une bête: une bête laide et féroce. […] Ce n’est pas un objet – au niveau de la forme – léché: c’est brut, c’est irrégulier.»

Pour donner le ton, la créatrice citait Victor Hugo: «La vie n’est qu’une longue perte de tout ce qu’on aime.» «Oui, je crois qu’on est une longue suite de pertes. Et c’est comment on voyage avec ça, plus ou moins bien, plus ou moins heureusement. C’est très sombre comme spectacle, mais il y a quand même des pointes de lumière.»

C’est à un tout autre registre qu’elle s’attaque ici, et on ne pourra que tendre l’oreille pour la suite imprévisible: «Les grandes tragédies nous transforment, nous traversent. J’ai l’impression que dans mon parcours d’artiste, il va y avoir avant ça et après ça.»