Sébastien David / Les morb(y)des : Poids lourds
Avec Les morb(y)des, Sébastien David comprime deux sœurs obèses dans un demi-sous-sol exigu. Englouties dans les odeurs nauséabondes et les réalités parallèles, elles se chamaillent et se cherchent une place pour exister.
«Gaétan, ça s’appelle Les morb(y)des.» Le jour même, Sébastien David avait eu une conversation téléphonique avec son ami, le metteur en scène Gaétan Paré. Celui-ci lui avait parlé de sa volonté d’aborder la thématique de corps atypiques dans l’espace, avec deux comédiennes en tête pour les rôles. «Tout de suite, j’ai vu les corps de deux sœurs dans un appartement trop petit pour elles, des sœurs qui entretiennent une relation filiale malsaine. Je ne voulais pas écrire une pièce sur l’obésité. J’ai voulu aller voir ce qu’elles cachaient sous leur chair.»
Dans un réalisme poétique et sensoriel, la pièce de David s’intéresse au décalage entre le physique et le psychique, entre le corps et la perception de soi.
«Autant le rythme de la vie s’accélère, autant il y a plein de gens englués dans une inertie incontrôlée», explique le dramaturge qui avait déjà exploré ce paradoxe dans les courtes pièces En attendant Gaudreault et Ta yeule Kathleen. «Quand je me promenais dans mon quartier l’été, des portes laissées ouvertes montraient des personnes avachies devant la télévision. C’est ce portrait que j’ai amené.»
Derrière l’une de ces portes, Stéphany combat l’ennui sur son vélo stationnaire et auprès d’une communauté virtuelle obsédée par les événements sordides. De l’autre côté du ring, Sa Sœur (Kathleen Fortin) s’encrasse sur son sofa en regardant compulsivement les téléréalités.
Désespérant de vivre un événement extraordinaire, Stéphany traque le tueur et, parallèlement, tente de séduire Moby. «J’ai lu un article sur les gens fascinés par les tueurs en série, et il n’est pas rare que ces personnes idolâtrent des stars intouchables», relate David. Alors qu’il poursuivait l’écriture des Morb(y)des, l’histoire grotesque de Luka Rocco Magnotta a éclaté. «Tout à coup, les gens se trouvaient devant un choix étrange: regarder ou non la vidéo horrible de ses actes. Je me suis mis à me promener dans les méandres virtuels et ce que j’ai trouvé était troublant», raconte l’auteur qui a adapté pour la pièce un extrait d’une chanson écrite pour Magnotta.
Poids plume
En répondant à la thématique initiale de Gaétan Paré, David a isolé dans l’espace des corps détestés par leurs propriétaires. Des corps trop lourds ou trop frêles, comme celui représenté par le personnage de Kevyn, qu’il incarne lui-même. «La maigreur est d’une certaine façon approuvée dans la société, et on peut se permettre de passer des commentaires. Combien de fois, adolescent, m’a-t-on dit que j’étais maigre? À un point tel que j’avais de la misère avec ma présence lorsque je suis entré à l’École nationale de théâtre. Je me sentais tellement léger, comme si je flottais.»
Dans le cas de l’énigmatique Kevyn toutefois, la relation au corps est poussée à l’extrême. «J’ai beaucoup hésité avant de faire intervenir Kevyn. Finalement, je me suis dit qu’il fallait qu’il y ait un rapport autre. Il représente la haine du corps matérialisé», laisse planer le comédien-auteur.
«J’ai bien essayé de trouver une place à Stéphany, se désole David. Y a-t-il de la place pour sept milliards de destins magnifiques? Ben non. Si on recensait les données de toutes ces vies dans un document Excel, on serait découragés.»