Cinq visages pour Camille Brunelle : Symphonie schizophrénique du moi
Scène

Cinq visages pour Camille Brunelle : Symphonie schizophrénique du moi

Coup de force de Claude Poissant qui a trouvé au texte de Guillaume Corbeil la parfaite adéquation scénique dans Cinq visages pour Camille Brunelle.

Les réseaux sociaux commencent à faire leur entrée sur nos scènes de théâtre, mais rarement ont-ils trouvé meilleures analyse et cohérence qu’avec ce texte de Guillaume Corbeil duquel Claude Poissant a su tirer un excellent moment de théâtre, parmi les meilleurs que le Théâtre PàP nous ait donnés ces dernières années. Corbeil a su exprimer la schizophrénie des rapports à soi et aux autres orchestrés par ces nouveaux modes de communication avec un texte finement construit où cinq personnages se présentent dans une joute de mise en valeur du soi. Ces individus se présentent d’abord selon leur profil Facebook (taille, intérêts, état civil), se lançant ensuite dans une interminable déclinaison de références culturelles accompagnées des fameux «j’aime», allant des groupes de musique aux films, réalisateurs, livres, etc. Chacun cherche à se démarquer des autres selon une échelle variable au gré de la mode du jour, passant en revue une soirée où chaque geste est immortalisé en orgie de photos (magnifique conception photo et vidéo de Geodezik), soirée resservie ensuite selon qu’on veuille faire étalage de sa joie, de ses affinités avec l’underground culturel ou de son penchant morbide.

Construite sur la répétition et la surenchère de postures empruntées et revendiquées en un interminable cortège prenant la forme d’une compétition du «moi» élevé en nouveau mantra, la pièce traduit la perte de vérité créée par cette mise en représentation perpétuelle qui cache le vrai visage au profit de l’image. Pour illustrer cette quête étourdissante d’identité, Claude Poissant a misé sur une spirale infernale, un mouvement centrifuge qui éloigne les individus de leur être à mesure qu’ils feignent de le trouver. Les mots sont récités avec une nonchalance brisée par des brèches humoristiques, brèves apparitions d’humanité qui révèlent l’édifice échafaudé sur le mensonge. La succession de couches superposées est joliment suggérée par les vêtements qui jonchent le sol et envahiront les corps dans une belle scénographie signée Max-Otto Fauteux.

Chaque parole est livrée sous le regard d’un spectateur convoqué sur les réseaux sociaux, dynamique reproduite par le jeu frontal des acteurs qui nous envahissent de leur récital au point de donner la nausée. Trompés par leur jeu de dissimulations, ces personnages avalés par leur représentation ne pouvaient trouver meilleur lieu qu’un théâtre pour prendre toute la mesure de leur drame. Maîtrisant parfaitement cette partition extrême, les cinq comédiens (Julie Carrier-Prévost, Laurence Dauphinais, Francis Ducharme, Mickaël Gouin et Ève Pressault) sont fort bien dirigés par Poissant qui a su leur donner une juste part de comique et de tragique.