Isabelle Van Grimde / Les gestes : Corps musiciens
Dans Les gestes, Isabelle Van Grimde place ses danseuses en dialogue avec des musiciennes et prolonge leur corps d’instruments de musique numériques aux formes anatomiques.
On se souvient de Duo pour un violoncelle et un danseur où un artiste équipé d’un instrument de musique numérique en forme de bâton, le T-Stick, captait le son d’une violoncelliste, le transformait et le projetait dans l’espace grâce à un dispositif de haut-parleurs placés derrière les spectateurs entourant la scène. Poursuivant sa collaboration avec les artistes-chercheurs du Centre interdisciplinaire de recherche en musique, médias et technologie pour mieux exploiter les extraordinaires possibilités offertes par cette technologie de pointe, Isabelle Van Grimde a participé à la conception d’instruments en forme de colonne vertébrale, de côte ou de visière, qu’elle arrime au corps des danseuses Sophie Breton et Soula Trougakos.
«Ces prothèses permettent une plus grande organicité du dialogue entre danse et musique, qui ne dépend plus de mouvements volontaires de la main, mais se fait par le mouvement naturel des corps, commente la chorégraphe. Et visuellement, elles apportent des images beaucoup plus riches et évocatrices qui vont dans le sens de mon travail sur la tension entre corps primal et corps du futur.»
Concrètement, les instruments réagissent aux mouvements, à la vitesse de déplacement, aux manipulations et à l’orientation spatiale. Élaborés avec le précieux concours des danseuses, ils leur permettent d’intervenir en temps réel sur la partition sonore des compositeurs Sean Ferguson et Marlon Schumacher, également concepteur d’une partie du logiciel, jouée en partie par la violoncelliste Elinor Frey et la violoniste Marjolaine Lambert, que Van Grimde amène à se déplacer dans l’espace.
«La complexification de tous les processus technologiques fait aussi que pour un même geste, les instruments offrent une gamme de réponses différentes, même si elles restent relativement proches, explique la créatrice. Ils induisent une relation organique, ce qui crée une grande richesse quant à la spontanéité et l’immédiateté de l’expérience.»
Plus difficile à accepter par les musiciennes, habituées à une grande précision en réponse à leurs actions, cette contrainte stimule Breton et Trougakos, accoutumées à travailler avec Van Grimde sur le principe de l’œuvre ouverte. Malgré les entraves que pourraient constituer ces prothèses musicales, elles soulignent les gains en termes de conscience corporelle, de sensibilité, de présence et de découvertes gestuelles que leur apporte l’aventure. On a bien hâte de voir ce que ça donne sur scène.
En assistant à la dernière représentation, j’ai eu droit à 55 minutes de mystère. Un attirail semblable à une colonne vertébrale ou à des côtes attirait mon attention parce qu’il était blanc et lumineux. En le portant et en le bougeant, les 2 danseuses provoquaient un son genre feedback de cette technologie nommée T-Stick. C’était vraiment excellent pour ce qui est de la création d’atmosphères. J’ai bien apprécié les projections lumineuses sur le sol (carreaux, labyrinthes): c’était de toute beauté. Les 2 musiciennes (violon, violoncelle) ajoutaient aussi avec de la vraie musique. Les sièges placés sur les 4 côtés de la scène me semblaient être une bonne idée. Cela ne manquait pas de sensualité.