Milena Buziak / Grains de sable : La guerre de proche
Frappée par le silence entourant la guerre en Afghanistan, Milena Buziak a interrogé trois soldats et leurs femmes et en a tiré Grains de sable, une pièce de théâtre documentaire où la parole est donnée aux vrais acteurs de la guerre.
Une image a d’abord attiré l’attention de la jeune metteure en scène qui avait présenté en 2009, avec sa compagnie Voyageurs immobiles, Platero et moi. En Ontario, l’autoroute où les dépouilles des soldats morts en Afghanistan sont amenées pour l’autopsie allait être renommée «Autoroute des héros». «Je me suis demandé comment on considérait ceux qui revenaient vivants ou blessés de la guerre, explique Buziak. Je voulais comprendre leur point de vue et je me suis dit que la meilleure façon était de leur parler directement.»
Au bout de 20 heures d’entrevues avec un colonel, un adjudant et un caporal, ainsi que leurs trois épouses, l’auteure et metteure en scène s’est retrouvée avec un tissu de témoignages qu’elle a mis en forme tout en restant fidèle à la langue de ces interlocuteurs. Chassé-croisé de voix qui se répondent ou pas, Grains de sable expose les fossés qui se creusent entre les militaires et leurs familles à travers leur langue imparfaite et pleine d’hésitations. «J’ai cherché la contradiction dans ces témoignages parce que je voulais faire un portrait des différentes expériences. J’ai essayé d’agencer les répliques, parfois en dissonance, parfois en contradiction, parfois en les appuyant les unes sur les autres. J’ai ensuite retravaillé le texte avec Pascal Brullemans, qui signe la dramaturgie.»
L’éclairage que jette ce croisement de voix souligne l’ampleur des répercussions de l’engagement militaire au-delà de la guerre. «Pour les femmes comme pour les hommes, il semble que le retour soit le plus dur à vivre, souligne Buziak. La réintégration dans la famille et dans la société est souvent difficile. Quand ils sont au combat, les soldats ont un but, une mission et une urgence, alors qu’au retour, les choses semblent banales et c’est difficile de retrouver la routine, la famille. Pour les femmes, il est ardu de réintégrer la personne qui était partie.»
Alors qu’on s’inquiète souvent du choc post-traumatique des soldats, une femme fait remarquer qu’elle a changé plus que son mari durant la guerre. «On ne tient pas compte des femmes de militaires et je voulais entendre leur point de vue», poursuit l’auteure qui a créé ce projet aussi pour combler le silence autour de la guerre en Afghanistan. «Ça me paraissait étrange que notre pays soit en guerre et qu’on n’en ressente pas du tout les conséquences. Ça se passe loin, ailleurs, dirait-on.»
Plongeant dans l’intimité des familles de soldats, Grains de sable permet d’abolir les frontières qui nous séparent généralement de cette réalité, sans jugement ni filtre. «Le théâtre documentaire offre un espace de communication plus ouvert que le cinéma ou la télévision. Ces personnes interviewées séparément se rejoignent sur scène.» Buziak et son équipe de six comédiens cherchent d’ailleurs à établir un échange avec le public, proposant des discussions après les représentations, comme une invitation à poursuivre l’immersion dans une réalité méconnue.