Frédéric Dubois / À quelle heure on meurt? : Les enfants-dieux
Frédéric Dubois reprend sa mise en scène d’À quelle heure on meurt?, inspirée d’un collage de textes de Réjean Ducharme fait par Martin Faucher. Montée avec les étudiants de Saint-Hyacinthe en 2011, la pièce est révisée pour le Théâtre Denise-Pelletier.
Ce fut la première adaptation et mise en scène de Martin Faucher en 1988, à l’Espace Go. Autour des deux adolescents du Nez qui voque, Mille Milles et Chateaugué, qui signent un pacte de suicide, enfermés dans un appartement pour réinventer le monde, Faucher avait greffé quelques passages tirés d’autres œuvres de Réjean Ducharme pour créer un montage original en hommage au verbe libre de l’auteur. Frédéric Dubois, grand amoureux de Ducharme dont il a mis en scène pratiquement toutes les pièces, a monté une version légèrement remaniée à l’École de théâtre du Cégep de Saint-Hyacinthe en 2011. La pièce a cette fois été épurée et retravaillée avec les dix comédiens incarnant ces deux adolescents qui ne veulent pas vieillir, des personnages proches d’eux. «Leur pacte de suicide est complètement métaphorique, précise Dubois. C’est la possibilité, en s’enfermant dans cet appartement, de recréer un univers nouveau, dont les règles seront les leurs, sans aucun compromis sur rien. Ça parle aussi de désobéissance. Ce que j’ai trouvé le plus triste du Printemps érable, c’est de voir des jeunes de 20 ans qui ne voulaient pas manifester. Un jeune de 20 ans qui ne veut pas changer le monde, ça m’inquiète.»
Pas étonnant que le metteur en scène réputé pour son franc-parler et son engagement social se soit pris d’affection pour ces enfants rebelles qui se prennent pour Dieu en décidant de leur mort. Ils incarnent la pureté de leur âge, mais aussi une certaine lucidité dans leur résistance à la corruption du monde adulte. «Ils comprennent très bien le monde dans lequel on vit: l’ennui, la routine et l’abdication, poursuit Dubois. La rupture survient quand Mille Milles développe un désir envers Chateaugué: c’est là qu’ils se perdent. On peut aussi supposer que ça traduit la vie de Ducharme, enfermé dans une maison dans l’ouest de Montréal, empli d’une incapacité à vivre dans le monde adulte, qu’il perçoit comme une perversion.»
Entre les dialogues du Nez qui voque et des passages tirés de L’océantume, de L’avalée des avalés et du Cid maghané, le collage donne aussi la parole à Nelligan, Richard Desjardins et Louis-Jean Cormier. Dubois a actualisé le collage en rapatriant des références touchant les dix jeunes comédiens qui défendent les deux personnages ducharmiens. «En leur faisant tous jouer le même rôle, il y a une pensée globale à établir et à défendre en groupe qui est très intéressante. Quand j’enseigne dans les écoles, j’ai cette préoccupation d’amener les étudiants vers une réflexion sur la manière dont ils veulent inscrire leur rôle artistique dans la société. Avec ce projet, je trouvais que je pouvais les amener là. Et c’est un élan, une permission et une langue à défendre aussi.» Une communauté de Mille Milles et de Chateaugué démultipliera donc cette jeunesse brûlant de refaire le monde, sans compromis.