Mélanie Demers / Goodbye : Poétique de l'adieu
Scène

Mélanie Demers / Goodbye : Poétique de l’adieu

Née de questionnements sur le deuil et la mort, déclinée en mille petites pertes quotidiennes, Goodbye est pourtant une œuvre de fougue et de vie, à l’image de la danseuse et chorégraphe Mélanie Demers, une des quatre artistes en résidence à l’Usine C pour les trois prochaines saisons.

Pour Mélanie Demers, l’acte créateur se lie naturellement avec l’engagement social. L’artiste n’a de cesse d’inscrire son rôle dans la cité et d’interroger la condition humaine avec ses œuvres où la poésie tisse le politique depuis la fondation de sa compagnie Mayday, qui l’a amenée à travailler en Haïti, au Kenya et au Brésil. Après Les angles morts (2006), Sauver sa peau (2008) et le baroque voyage en enfer Junkyard/Paradise (2008), Goodbye se présente comme une œuvre plus personnelle, pénétrant dans les labyrinthes de la création et de son indissociable alliée, la mort. La démarche fait toutefois écho à notre monde, parce que «monter sur scène est un acte politique», défend Demers. «Mon art était engagé; là, je dirais que c’est plutôt “dégagé”, explique-t-elle. Il y a un engagement parce qu’il y a une charge physique et émotive, mais c’est un point de vue plus personnel sur le monde. On s’interroge, dans le show, sur le sens du rituel de monter sur scène et on cherche à savoir si le public est concerné par ce qu’on fait, parce qu’ultimement, c’est lui qui fait le spectacle.»

Plus épuré que Junkyard/Paradise, Goodbye n’en demeure pas moins une œuvre ouverte qui inclut des décrochages et des apostrophes au spectateur. Construite en deux partitions qui se répondent – le spectacle et un commentaire sur le spectacle –, l’œuvre se pose en forme de point d’interrogation. «On crée des images et on les regarde de loin pour voir si elles ont une portée, une pertinence. J’aime poser l’acte de création comme une question sur la place publique, plutôt que comme une réponse. Cette fois, j’ai posé la question de notre capacité de nous réinventer à travers les pertes. Peut-on échapper à soi-même ou est-on esclave de son ADN, de sa culture, de son éducation?»

Mélanie Demers signe la chorégraphie et partage la scène avec ses trois complices et excellents danseurs Brianna Lombardo, Chi Long et Jacques Poulin-Denis, mais les implique aussi dans la création. «Plutôt que de me poser en metteure en scène, je me pose en metteure en idées. Je collabore avec les mêmes personnes depuis longtemps, des gens qui ont des personnalités fortes et qui peuvent me baliser. Dans le monde de la danse, on est souvent formatés pour être de bons élèves, pour plaire au maître. Je m’entoure plutôt de gens qui ont envie de provoquer et de réfléchir ensemble.»

Alors que Junkyard/Paradise jouait la destruction avec moult accessoires, Goodbye les récupère à l’infini dans une valse de vie et de mort où l’adieu se répète ad nauseam, tel un impératif pour renaître. «Chaque accessoire est exploité et réutilisé jusqu’à plus soif pour donner plusieurs angles et plusieurs vies à une même scène, un même texte, une même chanson. On a créé une boucle labyrinthique où on reprend les choses et ne trouve pas la sortie, un peu comme dans la vie où on a souvent l’impression de tourner en rond. On ne sait pas si on doit transporter le fardeau ou le laisser derrière nous. On s’est interrogé sur les plus petits et plus grands deuils, de la perte de nos peaux mortes à la perte de notre amour.»

Malgré la sombre thématique de la pièce présentée au FTA en juin dernier, il y a quelque chose de plus ludique que dans ses précédentes créations, croit Demers, première étonnée d’avoir accouché d’un spectacle à la signature aussi léchée, une esthétique qui s’est imposée d’elle-même. «J’aime bien parler d’un spectacle comme d’un monstre qui s’éveille. Au départ, on est comme le Dr Jekyll, on contrôle et on prend les décisions, mais au fur et à mesure qu’on avance, le spectacle devient plus fort que nous et nous domine. C’est le moment que j’adore», avoue la créatrice qui n’a pas peur de M. Hyde.