Catherine Boskowitz / La dernière interview : Transgressions
Scène

Catherine Boskowitz / La dernière interview : Transgressions

Créée par Catherine Boskowitz l’année du centenaire de Jean Genet, La dernière interview propose un dialogue entre le provocant dramaturge et l’homme de théâtre Dieudonné Niangouna.

En 1985, quelques mois avant sa mort, Jean Genet accorde sa dernière entrevue au journaliste de la BBC Nigel Williams. Au cours de l’entretien, il apostrophe les techniciens, esquive les questions et interroge à son tour Williams. Bref, l’auteur des Bonnes transgresse les règles de l’entrevue et s’en amuse avec une fraîche insolence.

Vingt-cinq ans plus tard, afin de souligner le 100e anniversaire de Genet, la metteure en scène Catherine Boskowitz conçoit un spectacle où Dieudonné Niangouna incarne le dramaturge français et elle, le journaliste anglais. Durant La dernière interview, où Boskowitz laisse audacieusement parler le silence, Niangouna quitte son personnage et improvise des commentaires sur les propos de Genet.

«Il me semblait tellement important d’écouter cette parole et aussi la thématique, qui court dans toute l’interview, de la position de l’artiste par rapport à la norme. Genet interroge toujours sa propre liberté et sa liberté de ne pas être formaté tel qu’on voudrait le faire. Quand le journaliste le questionne à propos de l’homosexualité, Genet ne lui répond pas directement; il refuse en fait de répondre aux questions basiques», explique la femme de théâtre au bout du fil.

«Ce spectacle est une manière de rendre extrêmement présentes la parole d’un auteur et une réflexion que menait Genet sur la langue française; d’ailleurs, je pense que cela peut intéresser le public québécois. Dieudonné Niangouna va plus loin en faisant le parallèle entre ce que raconte Genet et sa jeunesse en colonie pénitentiaire et les colonies françaises, notamment le Congo, puisque Dieudonné vient du Congo-Brazzaville; or, Genet a toujours réfléchi sur les questions de la colonisation.»

Alors que Williams et Genet se faisaient face en studio, Boskowitz se tient derrière Niangouna sur scène d’une manière rappelant celle d’un psychanalyste et son patient: «L’idée était de théâtraliser l’interview et non d’en faire une psychanalyse publique. Dans l’interview, Genet refuse d’être à la place où on l’assigne, pas physiquement, et n’a de cesse de déplacer les choses et de les mettre à l’endroit où lui les souhaite. Sa provocation servait à produire du sens.»

Dans l’entretien télévisé, Genet parle de son regret d’avoir accepté de se prêter à l’exercice, allant jusqu’à prétendre qu’il refuse de se retrouver dans les foyers anglais. Pour sa part, Niangouna se déplace à travers les rangées de spectateurs, provoquant parfois l’inconfort chez ceux-ci.

«Dieudonné joue avec l’espace comme on peut imaginer que Genet aurait pu le faire s’il avait eu 30 ans de moins et qu’il avait choisi de ne pas rester face à la caméra. Nous ne sommes pas dans la reproduction de l’entrevue; en revanche, nous essayons de lui redonner son essence. Ainsi, nous sommes dans un studio d’enregistrement et des spectateurs sont assis près de moi sur scène. Le spectacle peut paraître aléatoire à cause des improvisations et du temps avec lequel nous jouons, mais tous ces éléments-là sont des prétextes de jeu, au sens ludique du terme, même si le spectacle n’est pas ludique en soi.»