Gars de Marie-Ève Perron : Victime de l’amour
L’actrice Marie-Ève Perron offre une magnifique livraison de son propre texte, Gars, qui retrace le long chemin de croix d’une survivante d’un chagrin d’amour.
Il n’est pas évident de réinventer la peine d’amour. L’actrice, auteure et metteure en scène Marie-Ève Perron, qui partage son temps entre la France et le Québec, semble avoir misé sur cette non-originalité du sujet pour écrire et interpréter ce solo qui s’élève comme un long cri de désespoir d’être parmi les innombrables victimes de ce mal éternel. Fille, dévastée par le départ de Gars, entreprend le récit de son long voyage cauchemardesque au pays de la rupture amoureuse en convoquant plusieurs clichés, mais s’en moque à mesure qu’elle les énonce, les tournant en dérision, jouant beaucoup du sarcasme mais avec un fond de sincérité qui fait que le récit reste vrai et touchant, bien qu’il ne nous apprenne rien de nouveau sur comment on survit au départ de l’être aimé.
À un rythme soutenu, Fille vole d’un état à un autre sans répit, boussole désorientée aux émotions exacerbées par le traumatisme. On reconnaît bien le cœur en valseuse de l’écorchée d’amour qui se dérobe constamment, passant de la colère noire au cynisme, de la détresse psychologique à une sorte de catalepsie sans jamais trouver l’équilibre. Marie-Ève Perron (qu’on a pu voir dans les pièces de Wajdi Mouawad) saisit toutes les nuances de ces métamorphoses abruptes et joue magnifiquement de son corps, réceptacle de toutes les émotions, véritable instrument de musique détraqué qui reçoit toutes les secousses émotionnelles. Les passages où elle imagine la nymphe parfaite avec laquelle serait parti Gars sont parmi les meilleurs moments de ce solo souvent grinçant où Fille se montre dans ses plus laids et honteux atours, ceux d’une haine et d’une jalousie irrationnelles, cultivées dans le malheur.
Dans un décor d’appartement bordélique où les corps morts de la fête rappellent constamment le gâchis du bonheur, l’actrice cherche à ériger des structures sur les ruines d’elle-même, tantôt dessinant une porte imaginaire, tantôt échafaudant des guirlandes de mots qu’elle espère voir devenir des perches tendues vers l’avenir, mais la douleur du présent la vainc chaque fois. On regrette la stagnation du personnage qu’on aurait aimé voir évoluer dans ce terreau miné, et on aurait apprécié que le texte sorte de ces idées reçues sur l’amour qui hantent Fille comme des spectres de malheur. Malgré certaines failles du texte, le jeu époustouflant de Marie-Ève Perron et son audace de plonger de plain-pied dans ce projet au sujet tant de fois visité méritent d’être salués.