Geoffrey Gaquère / Amour/Argent : L'argent ne fait pas le bonheur
Scène

Geoffrey Gaquère / Amour/Argent : L’argent ne fait pas le bonheur

Le metteur en scène Geoffrey Gaquère s’associe à nouveau avec Fanny Britt qui a traduit Amour/Argent, de Dennis Kelly, une pièce décapante sur la fin d’une utopie nommée capitalisme.

S’ouvrant sur une scène de drague sur Internet où le prétendant se révèle sous son plus sombre jour, ayant assassiné sa femme à coups de vodka pour se débarrasser d’une dette faramineuse, Amour/Argent ne fait pas dans la dentelle pour montrer la cruauté d’une société dominée par l’argent. Après avoir mis en scène Hôtel Pacifique et Enquête sur le pire, de Fanny Britt, Gaquère a trouvé dans cette pièce du Britannique Dennis Kelly (Après la fin, Orphelins) de quoi nourrir une réflexion sur les dérives de l’idéologie mercantile. «Kelly nous montre la fin d’un rêve, de cette utopie collective qui est née après la Seconde Guerre mondiale avec la promesse que, d’une certaine façon, le paradis serait sur terre, explique le metteur en scène. Il y a un prix à payer pour ce paradis artificiel de la consommation, et Kelly nous en montre les ravages. Il nous expose la chaîne alimentaire humaine: si tu ne veux pas te faire bouffer par ton voisin, tu ferais mieux de le bouffer en premier.»

Sans être moralisatrice, la pièce met le public devant des situations et des personnages qui transgressent un certain code moral, et nous oblige à nous poser des questions sur ce fameux système monétaire qui mène le monde. «L’auteur nous met face à notre responsabilité de citoyens dans cette civilisation en mutation, et nous invite à nous demander si on ne pourrait pas inventer un autre monde où le sens ne serait pas dicté par les avoirs, les dettes et l’argent, si on ne pourrait pas revenir à quelque chose qui serait de l’ordre de l’amour.»

Construite en sept scènes apparemment indépendantes mais qui cachent des ramifications de sens, Amour/Argent décline les comportements de l’homme adepte de la nouvelle religion de l’argent. Entre ce couple formé de David (Patrick Hivon) et Jess (Marie-Hélène Thibault) qui cherche à se tuer pour échapper au surendettement, cet homme qui poignarde un passant qui lui a bousillé son téléphone portable, et ce chœur formé par les dirigeants d’une société de crédit, la pièce expose l’horreur d’un engrenage qui nous piège tous et culmine en un monologue final lancé par Jess comme une invitation à un monde au-delà des chiffres, «un monde de chair et de sang, pis d’amour». «L’endettement et le fait de toujours courir après l’argent font que ces êtres perdent leur dignité et commettent des actes qu’ils n’auraient jamais commis, souligne Gaquère. Il y a une perte d’humanité: on perd le costume du civilisé et on retrouve celui de l’animal où ce qui compte le plus, c’est la survie. Le monologue de Jess est presque un testament, les derniers mots d’une étoile en train de mourir.»

Portée par une langue crue, des dialogues très réalistes et cet humour grinçant propres à l’écriture de Dennis Kelly, Amour/Argent fait cependant éclater la temporalité par sa forme fragmentée. «La facture de la pièce est expérimentale, mais Kelly tente de nous montrer du réel. Le réalisme, ce sont les acteurs qui l’incarnent», précise Gaquère. La distribution est complétée par Benoît Dagenais, Mathieu Gosselin, Danielle Proulx et Isabelle Roy.