Amour/Argent : Le culte de l’argent
Avec Amour/Argent, l’auteur britannique Dennis Kelly fait le portrait grinçant d’une civilisation vile présidée par la nouvelle religion de la consommation.
D’un humour caustique et parfois sardonique, Dennis Kelly (traduit une quatrième fois par Fanny Britt qui nous a donné Après la fin, Orphelins et ADN) radiographie les laideurs de l’humain aux prises avec les tares et dérives du capitalisme. Par une série de tableaux apparemment autonomes, mais qui font réapparaître des personnages et tissent des liens entre eux, l’auteur s’intéresse aux effets profonds et intimes d’une société marchande et sans pitié, où seul l’instinct de tueur préserve des dangers des autres, mués en menaçants prédateurs.
Ainsi, Jess (Marie-Hélène Thibault), acheteuse compulsive, portera sa vie, mais aussi son couple, au naufrage à cause de sa maladive consommation, jusqu’à se suicider, assistée de son chum David (Patrick Hivon), qui sera lui aussi humilié par Val (Isabelle Roy), son ignoble ex, réduit qu’il est à lui quêter piteusement un boulot et à subir sans broncher ses insultes. Un père (Benoît Dagenais) et une mère (Danielle Proulx) pleurent quant à eux sur la tombe de leur fille, finissant par vandaliser celle d’à côté plus richement décorée, comme pour venger leur défunte enfant de ne pas avoir vécu dans le luxe qu’ils lui auraient souhaité. Une autre jeune femme acceptera de servir un dégoûtant pervers (Mathieu Gosselin) pour échapper à l’ingrate vie de bureau. Le besoin d’argent abaisse ici l’homme à des comportements honteux et humiliants, selon une régression vers un état bestial qui annihile toute dignité.
Malgré quelques passages un peu alambiqués qui peuvent perdre parfois l’attention du spectateur (notamment un chœur porté par les membres d’une société de crédit à la construction complexe), la pièce révèle une fine analyse de notre société bouffée par le culte de l’argent, en perte de repères dans la réalité, et réussit à nous glacer d’effroi. L’excellente distribution maîtrise bien cette partition aux subtiles variations et ces personnages souvent les nerfs à vif, bien que la sobre mise en scène de Geoffrey Gaquère ne leur donne guère plus que le texte à défendre. Fort heureusement, ce dernier suffit à faire son effet.