Paul Ahmarani / Fatal : De roses et de sang
Presque 30 ans après avoir monté l’intégrale de la trilogie Henri VI de William Shakespeare, Jean Asselin en a extirpé le cœur battant pour créer Fatal, une pièce de deux heures dans laquelle huit comédiens se partagent 70 rôles. Paul Ahmarani incarne le bon roi d’Angleterre.
Retour en 1986. Jean Asselin entraîne une jeune troupe de théâtre de l’UQAM dans HVI, huit heures de saga théâtrale basée sur les toutes premières pièces de Shakespeare. Au sein de la distribution, Sylvie Moreau et Réal Bossé font leurs premières armes. «Selon ce qu’on m’en a raconté, c’était épique! Cette nouvelle version s’inscrit moins dans la dérision et l’humour que HVI. Quoique Shakespeare insérait étonnamment beaucoup d’humour, même dans ses drames historiques», souligne Paul Ahmarani qui retrouve avec bonheur l’auteur et metteur en scène Jean Asselin qui lui a enseigné au Conservatoire et l’a dirigé dans Farce de Michael Mackenzie et La trappe de René-Daniel Dubois.
«Il a pensé à moi pour incarner Henri VI, un être doux, en rupture avec la rapacité propre aux luttes de pouvoir et mœurs sanglantes de son temps. On a dit de lui qu’il était un lâche, un fou, un illuminé. Notre parti pris a été de montrer un être mystique.»
En sabrant les trois quarts de la trilogie originale, Jean Asselin en a extirpé le cœur: le règne d’Henri VI pendant la guerre des Deux-Roses qui oppose le clan Lancastre (rose rouge) au clan York (rose blanche). Au nombre des sacrifices: la bataille des Anglais contre Jeanne d’Arc et son armée en France. «C’est un travail d’adaptation colossal dans une langue magnifique. Un tour de force qui mériterait d’être publié!», affirme Ahmarani.
En situant l’esthétique dans le Québec des années 1950 (les ellipses temporelles sont facilitées par des journaux télévisés), Jean Asselin s’est permis quelques libertés dramatiques, à commencer par l’insertion d’expressions québécoises. «Cette proposition me faisait peur au début, mais ça marche!, convient Ahmarani. Ça tombe dans l’oreille, c’est rugueux, évocateur et parfois même très poétique. Chaque phrase est un petit chef-d’œuvre. De par son amour des mots, Jean a aussi emprunté, lorsqu’elles respectaient l’idée du texte, des phrases d’auteurs du 18e dont il est particulièrement friand. Mon personnage dit notamment cette phrase de La Rochefoucauld: "J’eus rarement l’occasion d’accomplir des exploits. Mais chaque jour j’ai celle de ne pas être lâche." C’est quand même hallucinant comme phrase!»
Se définissant comme un acteur brouillon, mais intuitif, Ahmarani dit s’en être remis à Jean Asselin, maître du mime, pour le travail sur le mouvement. Entouré d’une solide distribution (dont Sylvie Moreau et Gaétan Nadeau), l’acteur se réjouit d’évoluer sur un plateau nu, si ce n’est une balustrade qui permet au roi de s’élever lorsqu’il s’adresse à son armée. «L’histoire du roi avec ses fils n’est pas sans rappeler Le parrain. D’ailleurs, c’est Coppola lui-même qui comparait son œuvre à du Shakespeare. C’est aussi l’histoire d’un affrontement de milices. Une guerre de gangs.»
Outre Richard III, les drames historiques shakespeariens ne sont pratiquement plus montés, rappelle Ahmarani. «C’est d’ailleurs Richard de Gloucester qui assassine Henri VI. La fin de la pièce est comme un sequel. Édouard IV prend le trône et dit adieu aux armes, mais on sait que c’est loin d’être fini: le monstrueux Richard III attend son tour.»