Appels entrants illimités : La ligne est coupée
Scène

Appels entrants illimités : La ligne est coupée

Avec Appels entrants illimités, le Théâtre Le Clou donne vie à l’univers foisonnant du dramaturge David Paquet dans ce spectacle pour adolescents qui décolle de la réalité pour mieux y planter les pieds.

Nous ne connaissons pas la date, ni l’heure, ni le lieu dans lesquels évoluent Anna (Catherine Le Gresley), Louis (Jonathan Morier) et Charlotte (Catherine Larochelle), trois colocataires qui vivent en marge de leur société, de leur époque et probablement de leur propre existence.

Amoureuse chronique, la contrôlante Charlotte attend obstinément son nouveau prétendant comme pour se confirmer, à travers le regard de l’autre, qu’elle s’aime de façon inconditionnelle, comme elle n’a de cesse de le répéter. Elle s’adresse d’abord au public pour présenter ses colocataires mésadaptés: Anna qui essaie d’entrer dans une boîte, Louis qui répand la mauvaise nouvelle. Au fil de ses interventions, Charlotte revient sur la scène avec une nouvelle blessure au corps: la prothèse au poignet, au dos, le collier cervical, les béquilles… comme supports aux brûlures existentielles qui s’accumulent, sans baume pour les apaiser.

De son côté, Anna se conforte dans le déguisement, elle se fait oiseau, ours ou homard, comme pour oublier que son corps n’a été ni regardé ni aimé. Puis, il y a Louis, le plus attachant du trio, qui lance presque violemment des formules toutes faites sur la vie, la mort, la mondialisation, les OGM. Certaines frôlent l’absurde. «La vie est une pizza au fromage». D’autres sont plus obsédantes. «Le monde est comme moi: fragile. Il faut en prendre soin.»

Le désordre ordonné de leur vie est bousculé par les sonneries du téléphone, sollicitations extérieures décalées. Au bout du fil: une voix préenregistrée débite des insanités.

Le texte de David Paquet (Porc-épic) est amusant, drôle et bien qu’il s’éclate dans la fantaisie, traduit bien l’ambition des jeunes qui se croient capables de tout: conquérir le monde et le sauver en même temps. Ce monde de surconsommation, de surabondance, de «suramour» meurtrier, est très bien rendu par la mise en scène abracadabrante de Benoît Vermeulen qui multiplie les déplacements, les costumes, les accessoires. En guise de décor, les trois personnages ont chacun leur porte de chambre dont la taille traduit leur perception d’eux-mêmes. Une convention qu’ils brisent allègrement.

Malheureusement, la pièce perd de sa substance en cours de route lorsque le propos se fait plus dur et inquiétant. L’abondance matérielle et visuelle du spectacle échoue à illustrer les parts d’ombre du texte. Anna, Charlotte et Louis ont peur de l’autre, du monde extérieur, peur de l’héritage laissé et de leur propre pouvoir de destruction. De brûlantes questions sur l’espérance que la mise en scène parfois trop sage et superficielle tend à noyer.