La fureur de ce que je pense : Le féminin l’emporte
Scène

La fureur de ce que je pense : Le féminin l’emporte

La parole de Nelly Arcan révèle de nouveaux atours dans La fureur de ce que je pense, magnifique spectacle à six voix dans lequel les mots de l’écrivaine se confrontent et se chahutent dans un arrière-plan onirique.

Initiée par Sophie Cadieux et mise en scène par Marie Brassard, cette pièce orchestre une très délicate fusion de l’écriture d’Arcan avec l’esthétique onirico-technologique à laquelle la metteure en scène nous a habitués. Objet d’une grande précision, le spectacle fait se rencontrer différentes facettes de la pensée de l’écrivaine comme autant de visions concordantes, créant un fascinant dialogue autour de l’enjeu du corps féminin, tel qu’il se contraint dans les stéréotypes et s’emprisonne dans une image figée. Sortant toutefois de cette vision canonique de l’œuvre, l’adaptation fouille des morceaux moins connus, moins discutés des romans Putain, Folle et L’enfant dans le miroir, ainsi que du recueil Burqa de chair

Les blessures d’enfance et le rapport complexe avec la figure paternelle, par exemple, sont mis en relief de puissante manière. Au lieu de s’ancrer strictement dans un regard psychanalytique comme c’est le cas dans Putain, les textes choisis exacerbent la pensée d’Arcan sur le mépris du regard masculin sur les femmes et portent une vision plus philosophique que psychologique. Prisonnière d’un corps sur lequel tous les regards se tournent, Arcan se réfugie aussi dans une réflexion sur le cosmos, sur le plus grand que soi: cette dimension de son écriture porte le spectacle à une profondeur mystique insoupçonnée. 

Brassard joue sur la perception en misant comme toujours sur une énonciation finement travaillée: des voix amplifiées, parfois trafiquées, qui adoptent ou transcendent le rythme dicté par la musique électroacoustique d’Alexander MacSween. La scénographie place chacune des comédiennes dans une boîte vitrée comme si elles évoluaient séparément dans les cases d’une bande dessinée, dialoguent entre elles de manière non linéaire et finissent par se rejoindre dans un jeu de correspondance infini, contribuant à faire de cette pièce un fascinant théâtre mental qui exalte le pouvoir de la pensée. S’en dégage aussi une certaine plasticité, à l’image des corps marchandisés que dénonçait Nelly Arcan. Un objet théâtral très élaboré et absolument captivant.