Les enrobantes ou cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant : Le syndrome Pinocchio
Scène

Les enrobantes ou cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant : Le syndrome Pinocchio

Les enrobantes, ce cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant du Théâtre Pupulus Mordicus, atterrit sur la grande scène du Trident. Rencontre avec deux hommes d’expérience: Pierre Robitaille et Bertrand Alain.

Ça faisait un bout qu’on souhaitait présenter Les enrobantes, création de 1998, sur la grande scène du Trident. Mais voilà, le Théâtre Pupulus Mordicus, chef de file de la folie inventive, s’est pris dans d’autres rets: il y a eu Jacques et son maître (2006), L’oiseau vert (2008) et L’opéra de quat’sous (2011), entre autres. Si bien que c’est seulement maintenant qu’a lieu la jonction.

Les enrobantes, donc: les aventures de Freud qui, devant les rumeurs de son impuissance, s’échine à retracer le carnet d’autoanalyse qu’on lui a dérobé. Ben oui. Tiré hors de son cabinet, il patauge dans le Vienne nazi des années 30, au gré des rencontres: une chanteuse de cabaret, une admiratrice, deux soldats «bons Aryens» ou encore Carl Gustav Jung courtisant Melanie Klein.

Et ce détail en sus, bien sûr, parce qu’on est chez Pupulus Mordicus: le père de la psychanalyse n’étant pas disponible pour interpréter son propre rôle, on a décidé de le confier à une marionnette. Bon, ça n’a rien de déstabilisant, peut-être. Mais sans doute faut-il replonger dans le contexte de la création, il y a près de 15 ans. «Le choc, à l’époque! Y avait pas eu tant de théâtre de marionnettes pour adultes que ça.»

C’est Pierre Robitaille qui parle, le codirecteur artistique de la compagnie. Il vous regarde derrière ses lunettes, placide, les bras croisés; en français, on dirait «gaillard». Trente ans de métier dans le corps, il revient sur ce succès tant public que d’estime, qui avait reçu le Masque de la meilleure production Québec en 1999: «Il y avait le sujet, aussi: "Freud? Un show de marionnettes avec Freud?" Je me souviens quand j’ai essayé de vendre cette idée-là à mes compatriotes: si tu veux… disons que c’était quelque chose.»

À ses côtés se tient Bertrand Alain. Homme d’expérience tout autant, il cumule jeu et mises en scène depuis sa sortie du Conservatoire en 1985. C’est lui, ici, qui prend le relais de la mise en scène, assurée à la création par Gill Champagne, le même qui tenait à amener le spectacle au Trident. «Qu’est-ce qu’on fait quand on reprend un spectacle qui existe déjà et qu’on veut refaire le même succès?»

L’idée, ici, sera moins de réinventer le ballon à l’hélium que de lui donner un nouveau lieu où se déployer. «C’était efficace, c’était drôle, c’était irrévérencieux, c’était sexy!», poursuit-il, tout en fleurs pour son collègue patenteur d’imaginaire. Mais aucune flagornerie, ici; suffit d’avoir vu un spectacle comme Jacques et son maître, par exemple, pour voir de quel phénomène il retourne: ces bouts de chiffon, sur scène, vivent.

«Un pantin couché, c’est vraiment rien, poursuit Alain. Mais dès que ça bouge un peu… J’appellerais ça le syndrome de Pinocchio: tout à coup, y est pus en bois!»

On se surprend à tant vouloir les croire, ces marionnettes. Pourtant, il y a ceci dont on ne s’étonne plus vraiment, c’est leur présence sur les scènes de la ville. Comme on ne s’étonne plus de voir de la vidéo au théâtre, tiens. Car le paysage, en 15 ans, a changé. «La région de Québec, reprend Pierre Robitaille, à cause du Sous-marin jaune et de Candide, par exemple, a développé un public. Et même, ça commence à l’enfance: certains sont passés par Le Théâtre de sable, et ils ont été accrochés. Mais c’est vrai qu’ici, on a développé un public qu’ils n’ont pas encore à Montréal, même si c’est en train de se faire.»

Cabaret Gainsbourg en 2010, par exemple, comblait sa première semaine avant même d’entamer les représentations. «Parce que les gens savaient que c’était de la marionnette pour adultes, et qu’ils allaient avoir ce plaisir-là.»

Ce plaisir-là… Les possibles de la marionnette nous sont connus, de plus en plus; leur place n’est plus à faire. Si l’humilité empêche Pierre Robitaille de relier son propre travail à ce changement de donne, on se consolera de ceci: il sera facile de voir, en consultant la feuille de route de la compagnie, ce qu’elle a pu induire comme changement de culture, et imposer comme présence.

«Il y a un public, maintenant. Depuis quelques années, on n’est plus obligé de s’expliquer quand un journaliste culturel nous demande: "Vous faites de la marionnette pour adultes?" Je ne l’entends plus, maintenant, cette question-là.»

On se le tient pour dit.