Fatal : Shakespeare en chair et en geste
Scène

Fatal : Shakespeare en chair et en geste

Le metteur en scène Jean Asselin donne vie et corps au Henri VI de Shakespeare avec sa libre adaptation baptisée Fatal.

Vingt-sept ans après sa première création avec des étudiants de l’UQAM, Jean Asselin remonte Fatal avec huit acteurs qui incarnent une quarantaine de personnages, dont Sylvie Moreau qui était de la première cohorte. Avec sa compagnie Omnibus, Asselin dit «postuler l’antériorité des actes sur les mots», se permettant de retrancher plusieurs passages de cette fresque historique imposante qui faisait 7h30 à l’origine.

Il est vrai que la lecture qu’il en fait en est une de mouvement et de corps, fidèle à la démarche d’Omnibus de donner à voir le verbe par un jeu et une gestuelle expressifs. Cependant, l’intrigue de la guerre des Deux-Roses qui déchira le royaume d’Angleterre au XVe siècle entre le clan de Lancastre, présidé par Henri VI, et celui d’York, dirigé par Richard, puis par Édouard IV, est d’une complexité qui se réduit difficilement à la seule simplicité des actes. En résulte une pièce vivante et portée par une distribution exceptionnelle, mais qui s’étire en longueur avec ses presque trois heures. Les chassés-croisés familiaux finissent par étourdir dans leur interminable succession.

Sans décor, Fatal transpose l’action d’Henri VI dans le Québec des années 1950, mêlant les registres dans un joyeux amalgame de français châtié et de québécois vernaculaire. L’effet est vivifiant et plutôt réussi, surtout que les personnages restent constants dans leur présence malgré les anachronismes, que Shakespeare se permettait lui-même. Ce choix du metteur en scène d’allier les deux langues permet une distanciation et des décalages qui ouvrent le spectre des possibles interprétations de la pièce.

La narration qui nous est transmise par un écran de télévision, où une bouche géante résume l’action et se permet toutes sortes de digressions, devient un peu rébarbative à la longue, mais l’humour passe mieux dans les multiples décrochages amenés par les acteurs qui fredonnent des chansons des années 1950, sacrent et mêlent les références contemporaines à l’usurpation du royaume d’Angleterre d’une autre époque.

Le parallèle avec les guerres de pouvoir et dérives d’orgueil et d’ambition de nos dirigeants actuels s’établit aisément, mais l’intérêt de cette relecture de Shakespeare se situe surtout dans le jeu des acteurs, d’une force d’évocation inouïe. Sylvie Moreau est particulièrement flamboyante en reine Marguerite, mais Pascal Contamine, Gaétan Nadeau et Anne Sabourin offrent aussi de magnifiques interprétations.