Dany Boudreault / (e) : Hydre à trois têtes
Souvent qualifié d’acteur androgyne, Dany Boudreault porte en lui et malgré lui une ambiguïté sexuelle que le regard de l’autre ne cesse de remettre au jour. Dans (e), il se permet enfin de sublimer ce personnage écartelé entre les sexes.
«Je suis né au Lac-Saint-Jean sur une ferme, dit-il, dans un milieu où l’identité et l’apparence d’un homme se doivent d’être fidèles à des normes très précises, au risque d’être ostracisé. J’ai été si souvent confronté, dans mon enfance et mon adolescence, à mon image physique, qui ne correspond pas aux canons de la virilité masculine, que j’en ai presque fait une psychose, une surconscience de mes gestes, de mon comportement, de ma voix. Je suis devenu obsédé par le regard de l’autre.»
Le spectacle, s’il est tiré d’un matériau autobiographique, n’est en rien une stricte confession. Inspiré par la psychanalyse lacanienne (qui l’a beaucoup aidé à cheminer personnellement), Dany Boudreault a imaginé une sorte de démantèlement de sa psyché, nourrie par la fiction. Trois personnages se croisent et prennent les traits de personnes aimées, mais représentent aussi différentes facettes de son identité déconstruite, voguant entre les genres. «Je pense, en fait, qu’on est plusieurs personnes dans une même vie et qu’on peut se rencontrer soi-même sous mille déguisements. On peut même se souvenir de soi-même dans le passé, posséder une image de soi comme étant une fille, dans une autre version de soi-même. Ma démarche, en fait, c’est d’aller à la source du symptôme à travers la fiction. J’ai volontairement démultiplié le personnage et instauré une théâtralité forte pour quitter le ton du témoignage.»
Le tout dans une langue poétique, à mi-chemin entre une sorte de réalisme allusif et une forte inscription de la fable dans un réseau de symboles et d’images empruntés à la culture populaire (notamment une scène du téléroman Les machos) et à la mythologie grecque (à partir d’une chanson de Nana Mouskouri, croyez-le ou non!). Le texte demeure ouvert à diverses interprétations, même s’il s’ancre dans un traumatisme réel vécu par l’acteur dans un champ de maïs à l’adolescence. Les traces de cette expérience initiatique sont palpables dans l’écriture, mais s’ouvrent sur de plus vastes perspectives. «De manière inconsciente, explique-t-il, j’ai tissé une trame de références grecques, avec un arrière-fond de références à la mère, au père, au péché originel. En psychanalyse, ce sera toujours la faute des mères. C’est malheureux, ça montre surtout que la psychanalyse est une affaire d’hommes, surtout chez Freud, mais il y a bel et bien dans mon texte une sorte de matricide inconscient. C’est une étape fondamentale de la quête.»
Sont également posées des questions relatives aux théories du genre. Naît-on homme ou le devient-on? «Je penche, répond le comédien, du côté de Christine Delphy, qui parle du genre comme étant un sexe social. D’ailleurs, je vois (e) comme un négatif d’Orlando, de Virginia Woolf. Le roman montre une femme qui apprend à devenir une femme selon le contexte et la société qui lui sont donnés. Mon texte raconte un processus semblable en version masculine.»