Édith Patenaude / Off Hamlet: Le monde sera meilleur : Le confort et l'indifférence, ou l'absence de combat
Scène

Édith Patenaude / Off Hamlet: Le monde sera meilleur : Le confort et l’indifférence, ou l’absence de combat

Avec Off Hamlet: Le monde sera meilleur, Édith Patenaude s’attaque au mal qu’il nous reste à nommer. Un couteau entre les dents. 

Il y a eu Britannicus, puis Rhinocéros: c’est Hamlet, cette fois, qui se pointe au sous-sol du Cercle dans la série «Off»: «Ce qu’on veut proposer, c’est une expérience parallèle, plus underground et contemporaine: des classiques, mais du théâtre de façon générale.»

C’est Édith Patenaude qui se trouve de l’autre côté de la table. Le ton est moins caustique qu’avec Jocelyn Pelletier – que nous avions eu en entrevue pour le Off Rhinocéros –, mais pas moins critique: «On le vit de façon très institutionnelle, le théâtre, au Québec. C’est très carré. On joue à telle heure, tout le temps, dans toutes les salles, du mardi au samedi, ça finit là. Tu prépares tes trucs deux, trois, quatre ans d’avance. C’est très difficile de travailler dans l’urgence.»

L’urgence, elle la formule ainsi: «Raconter quelque chose de la génération et du monde dans lequel on est, qui, moi, me trouble.» Au premier rang, l’indifférence que nous avons colonisée: «Tu lis sur la Syrie: c’est épouvantable! Mais ça ne nous fait pas vraiment quelque chose, en fait: ça ne se rend pas.»

Dans Le monde sera meilleur qu’elle présente comme son Hamlet version shooter, une adaptation très libre, un couple – Jocelyn Pelletier et elle – voit, dans un futur rapproché, une nouvelle catastrophe financière frapper, n’épargnant pas cette fois le Canada. Tout déboule pour les deux jeunes trentenaires qui venaient de contracter une hypothèque, victimes d’un système qui s’est affaissé, et c’est leur rage et leur plan de vengeance qu’ils viennent nous exposer, dans une manigance rappelant celle du personnage de Shakespeare.

«Y a cette affaire sociale, l’indifférence, tout ça, reprend Édith Patenaude, soulignant à quel point Hamlet peine à tolérer la légèreté dont on fait preuve autour de lui. Mais c’est ce qu’on vit aussi dans nos vies personnelles. Comme génération, on est tellement… Tout va tellement vite que rien n’est grave. Y a plus d’après, y a juste l’immédiat.»

À la fougue dans sa voix, on sent que c’est tout à coup moins de théâtre qu’il s’agit que de sa propre vie et du monde qui l’entoure. «Mon constat actuel, c’est que j’ai moi-même un dégoût – ça pourrait ne pas durer – de l’humanité, de mon entourage ou en tout cas de la façon dont on fonctionne, de notre incapacité à nous lier profondément, de notre désir immédiat.»

Dans un même élan, la jeune metteure en scène houspille les vies douillettes dans lesquelles on n’est plus obligé de s’attacher à quoi que ce soit et souligne les combats qu’on ne mène pas, occupés à… à quoi? «Comme on ne vit rien et qu’on est désespérément à la recherche de sensations fortes pour se sentir vivants, parce que surstimulés par les écrans, par, quand même, la pornographie et la multitude des possibles, on cherche des sensations fortes, mais on n’a rien contre quoi se battre. Ce qui fait qu’on sabote. On se met volontairement dans la marde pour vivre quelque chose de fort, pour voir ce que ça nous ferait, on se met dans des situations où on va avoir à se battre après pour s’en sortir.»

Un tel discours, on s’en réjouit, donne l’esprit du spectacle à venir: des moyens pauvres, un lieu plus ou moins approprié – entendons ici: à côté des toilettes du Cercle, sous le grondement de la sono – et une préparation sciemment limitée, mais en contrepartie l’investissement de sept comédiens sur lequel on aura tout misé. «Le spectateur est habitué. Mais si on se dévoile vraiment devant lui, peut-être que ça va créer quelque chose d’autre parce qu’il n’y a plus le masque de la fiction. Et ça, ça peut créer quelque chose de magnétique qui n’arrive pas souvent. Ce sont des shows imparfaits: on le dit en partant. Mais il peut se produire des magies qui arrivent dans le brut, pas dans le poli.»