Survivre : Bureautique inc.
Scène

Survivre : Bureautique inc.

Soucieux du détail, Eric Jean et Olivier Kemeid proposent avec Survivre une pièce tout en atmosphères et en fines observations sur l’aliénation de l’employé de bureau.

Souvent applaudi pour sa maîtrise des codes d’un certain théâtre onirique et éclaté, porté par une stimulante méthode de création par improvisation dirigée, le metteur en scène Eric Jean avait déçu ces dernières années avec En découdre et Emovere, des pièces enrobées d’une esthétique soignée qui n’arrivait pas à masquer la petitesse du propos. Heureusement, grâce à une heureuse association avec l’auteur Olivier Kemeid, l’inspiration semble avoir happé de nouveau le directeur artistique du Quat’Sous.

Survivre cherche à disséquer avec humour l’aliénation du travail de bureau et la manière dont la culture d’entreprise règle nos vies et nous déshumanise. La mission s’accomplit ici dans un passionnant théâtre de peu de mots, une sorte de vivarium humain où les employés s’agitent sous l’œil intrigué du spectateur, avant que leur univers ne bascule dans un monde de pulsions. Les premières scènes évoquent presque l’univers du metteur en scène suisse-allemand Christoph Marthaler, lequel excelle à représenter de manière décalée, dans une étrange temporalité, la banalité de l’existence. Le tout dans des décors rétro qui imposent la distance critique nécessaire pour réfléchir à notre époque sans s’y coller complètement le nez (un principe repris dans la salle de travail beige imaginée par Eric Jean et son scénographe Pierre-Étienne Locas).

Pourtant, la démarche de Survivre n’était pas très originale sur papier. Les textes dramatiques abordant le travail de bureau sous l’angle de l’aliénation sont légion dans le théâtre contemporain (pensons à Michel Vinaver, Isabelle Sorente ou Sergi Belbel). Rien de neuf non plus dans la progression dramatique: c’est en étant confrontés à un étrange jeune homme surgi de nulle part en sous-vêtements (Renaud Lacelle-Bourdon) que les personnages quittent leurs gestes routiniers pour révéler des désirs enfouis. Cela rappelle Théorème de Pasolini (une influence revendiquée par l’auteur), mais aussi, à une autre échelle, Le retour d’Harold Pinter. Peu importe la structure du spectacle, c’est dans la justesse de sa peinture de caractères que réside toute sa force. Il faut dire qu’il est porté par une distribution éclectique qui se montre très à l’aise dans ce théâtre minimaliste dominé par un travail gestuel très précis.