FTA: Marie Brassard / Trieste : Ville souterraine
La première fois que Marie Brassard a voulu aller à Trieste, petite ville italienne sise au bord de la mer Adriatique, on l’en a dissuadée. Elle s’est obstinée et son séjour là-bas lui a inspiré Trieste, mystérieux spectacle solo racontant l’âme de cette cité bercée par une aura artistique.
Elle a nous a habitués à des spectacles d’une forte virtualité, la mettant en scène au cœur de savants dispositifs technologiques propices à créer des mondes visuels abstraits et envoûtants. Seule en scène, Marie Brassard donne généralement vie à des récits identitaires complexes et explore différentes temporalités. Trieste promet de provoquer le même genre de voyage entre différentes époques, tout en s’ancrant dans les faits historiques, dans un regard très concret sur la ville. «Je m’intéresse, dit-elle, à l’idée des coïncidences à travers le temps, j’essaie de déterrer les traces laissées sur les lieux par les écrivains qui ont habité la ville il y a plusieurs siècles ou par les événements qui ont marqué le territoire. Ce sera une espèce de toile de pensées qui se rencontrent, dans une certaine suspension de l’espace-temps.»
James Joyce et Rainer Maria Rilke ont longuement fréquenté les cafés de Trieste, une ville méconnue au confluent des cultures italienne et slovène, dont l’ambiance est chargée de ce passé artistique foisonnant. Or, la ville est jolie, mais elle n’a rien de spectaculaire. Il faut la vivre de l’intérieur, capter son atmosphère vibrante. «J’ai été frappée, explique l’artiste, par le calme, par la présence des artistes en filigrane, dans le souterrain de la ville, de manière insaisissable. L’ambiance est prégnante. J’essaie de partir des faits, d’un réel très palpable, pour basculer dans cette ambiance et dans la poésie qu’elle transporte.»
Entre reconstitution géographique précise et évocation de lieux métaphoriques, Marie Brassard a construit son spectacle en s’inspirant concrètement du territoire. Se matérialiseront devant nous la mer et ses ports, les châteaux porteurs de légendes et de grands récits, mais aussi la bora, «un vent très puissant qui vient des montagnes, qui est d’une puissance extraordinaire et dont on dit qu’il peut rendre fou». C’est dans le monde souterrain que la comédienne a fait le plus profond voyage. «Il y a des caves gigantesques sous Trieste, dit-elle, et quand on les visite, on a l’impression d’entrer dans les entrailles de la terre. Les Romains croyaient que dans ces caves coulait un fleuve, un chemin qui menait vers le monde de la mort.»
Freud a vécu à Trieste quelques années. Ainsi, la psychanalyse a indirectement influencé la créatrice, qui aime l’idée «de creuser dans les profondeurs de l’identité en pénétrant dans les caves de Trieste. C’est le sous-sol de notre monde et c’est métaphoriquement le sous-sol de nos pensées ou de notre conscience». Attention, la descente sera irrémédiable.
Présenté dans le cadre du Festival TransAmériques