Carrefour international de théâtre | Christian Lapointe / L’homme atlantique (et La maladie de la mort) : Face à la mort avec Duras
En conjuguant L’homme atlantique et La maladie de la mort, Christian Lapointe trouve chez Duras ces jeux de présence et d’absence qu’il affectionne et une rencontre surprenante entre le désir et la mort.
L’homme atlantique, ce film où Marguerite Duras offre 15 minutes d’images pour 30 minutes de noirceur et renvoie le cinéma dans la psyché du spectateur, était prédestiné à Christian Lapointe, maître des jeux de représentation. À ce texte où une réalisatrice s’adresse au lecteur pour faire réapparaître un absent (l’être jadis aimé), Lapointe greffe un court roman de Duras datant aussi des années 1980, La maladie de la mort, où une prostituée renvoie à sa mort un amant incapable d’aimer.
«J’ai l’impression que l’un éclaire l’autre», raconte le metteur en scène. «Ce qui m’a intéressé chez Duras, c’est la mise en jeu de l’écriture. Je me suis rendu compte que les auteurs britanniques et allemands, comme Martin Crimp, qui écrivent on the spot, avec des acteurs qui inventent l’histoire, avaient été devancés par Duras en 1981, mais dans une tenue littéraire qui force à s’éloigner de la décontraction désinvolte. L’homme atlantique est un film dans lequel il n’y a pas de film. Duras est une situationniste post-Guy Debord.»
Récupérant l’idée d’un objet artistique qui prépare à sa création mais ne se fera jamais, Lapointe a conçu un dispositif scénique qui dédouble les acteurs en une espèce de manège à épreuves, le «durassic parc», comme il le surnomme. Il place une réalisatrice (Marie-Thérèse Fortin) et deux comédiens (Anne-Marie Cadieux et Jean Alibert) sur un plateau de tournage et les fait jouer à L’homme atlantique pour entrer ensuite dans La maladie de la mort. «J’ai créé un dispositif de cinéma direct qui nous permet de faire un film sur la préparation du film. Ça permet de faire disparaître les acteurs et puis de les faire réapparaître via l’œil de la réalisatrice et de jouer avec ce grand thème abordé par Duras de l’impossible rencontre entre les hommes et les femmes.»
Cette idée de l’absence qui crée le désir, chère à Duras, rejoint aussi la question de la mort, centrale dans l’œuvre de Lapointe, notamment dans son Cycle de la disparition. «Il y a toujours eu chez moi cette volonté de créer une présence magnifiée dans l’absence. Dans La maladie de la mort, une femme est là tout le temps, et quand elle disparaît, le désir apparaît. Dans L’homme atlantique, plus l’homme est absent du film, plus on le voit. Pour moi, ce que Duras fait le mieux est de parler du désir et de la mort en même temps, et c’est dérangeant parce que le véritable désir mène à se sentir mortel, et on ne veut pas savoir ça.» Ce que les textes ouverts de Duras peuvent vouloir nous dire, selon Lapointe, c’est que «la seule façon d’échapper à la société du spectacle où tout est factice, c’est de se mettre face à la mort et face à notre imaginaire».
Les 7 et 8 juin
Au Grand Théâtre à l’occasion du Carrefour international de théâtre