Carrefour international de théâtre | Édith Patenaude et Joanie Lehoux / Les reines : Femmes au pouvoir
Complots, mensonges, tueries: sous la houlette de Frédéric Dubois, les reines shakespeariennes de l’auteur Normand Chaurette s’amènent au Carrefour international de théâtre dans un lieu historique et inédit.
On reconnaît là le caractère nomade du Théâtre des Fonds de tiroirs et de son directeur artistique, Frédéric Dubois. Lorsque les filles de la compagnie Les Écornifleuses l’ont approché pour la mise en scène des Reines de Normand Chaurette, il était évident pour lui que la pièce devait être présentée dans la tour Martello 4, celle qui surplombe magnifiquement la ville dans le Faubourg Saint-Jean-Baptiste. «Ça a été assez magique, ce qui s’est passé quand on a dit à Frédéric qu’on voulait le rencontrer, raconte Édith Patenaude, comédienne et directrice artistique des Écornifleuses. Au téléphone, on ne lui avait pas parlé de notre projet. Mais Fred avait deviné, il avait même apporté le texte! Il a dit: je suis sûr que c’est Les reines; ça prend la tour!»
La quatrième tour Martello est plutôt inconnue du public, n’ayant jamais pu être visitée au même titre que ses consœurs situées sur les plaines d’Abraham. Sachant que Dubois faisait fréquemment du théâtre extra-muros, les Compagnons de l’ère médiévale, à qui la tour a été confiée en 1996 par la Commission des champs de bataille nationaux, l’ont approché il y a quelques années pour lui dire que ce lieu pouvait être envisagé pour ses productions théâtrales. Petite forteresse aux murs de pierres d’une épaisseur de quatre mètres du côté ouest, on accède au deuxième étage au bout d’un escalier très étroit, qui débouche sur une salle circulaire pouvant contenir une cinquantaine de spectateurs. Un lieu parfait pour une pièce en huis clos. Mais chaussez vos bas de laine; l’humidité nous transperce. «Ce froid-là amène un inconfort qui est exprimé dans l’état de ces reines-là», explique la comédienne Joanie Lehoux. «Le décor est le lieu, renchérit Patenaude. On a de très beaux costumes, mais en même temps très simples. Il faut rester dans la sobriété esthétiquement parce que le lieu est fort, mais aussi parce que la parole est tellement belle qu’il faut la dépouiller d’artifices.»
Dans mon royaume
De l’œuvre de Shakespeare jusqu’à un espace-temps tout à fait illusoire, les six reines de Chaurette se retrouvent à la même époque au même endroit. Elles désirent ardemment accéder au trône; elles luttent pour le pouvoir et sont prêtes à tout pour y parvenir, tandis que le roi Édouard se meurt et que la tempête du siècle sévit à l’extérieur. «Chez Shakespeare, c’est très présent: la température, les éléments extérieurs sont le miroir de ce qui se passe à l’intérieur, dépeint Patenaude. Londres est ensevelie, on ne voit plus rien, tout disparaît. Pour moi, cette disparition de Londres, ça a une beauté poétique; cette disparition-là, collective mais individuelle aussi, c’est super fort, et ça crée un tourment… Tsé, quand il y a une tempête de neige, on la ressent, il y a une fébrilité. Ces femmes vivent un moment important pour elles, donc il y a cette fébrilité-là, cette espèce de magnétisme qui finit par se créer.»
Un vent de jeunesse
Au fil des précédentes mises en scène, le public a vu Les reines interprétées par des actrices plus âgées que celles dirigées par Frédéric Dubois. On pense, entre autres, à la mouture signée Denis Marleau en 2005, présentée au Théâtre d’Aujourd’hui, avec Louise Bombardier dans le rôle d’Anne Warwick (tenu ici par Joanie Lehoux) et Ginette Morin dans celui de Marguerite d’Anjou (campée par Édith Patenaude). «Ce sont des personnages plus grands que nature, expose cette dernière. On a eu l’habitude au Québec de les voir joués par des comédiennes plus matures, on aura donc certainement des maladresses. Mais on pense qu’une beauté peut naître de cette fraîcheur, de cette sincérité. On y va de nos propres vulnérabilités, nos faiblesses, mais aussi nos forces, honnêtement et humblement.»
Plus ça change, plus c’est pareil
Les cinq comédiennes des Écornifleuses aiment prendre la parole pour dénoncer, ébranler, conscientiser. Avec des œuvres telles que L’absence de guerre et Off Hamlet: Le monde sera meilleur, leur dernière création, l’objectif est clair: apporter par le biais du théâtre une réflexion citoyenne. «Pour moi, un texte qui porte une parole engagée, ce n’est pas nécessairement un texte qui parle de politique, fait valoir Patenaude. Beaucoup de thèmes plus intimes ont des répercussions sur le social. Avec Les reines, ce qui est très fort, c’est à quel point ces femmes travaillent par ambition pour arriver à obtenir quelque chose. Elles ne souhaitent pas le pouvoir pour mieux faire les choses; elles veulent avoir le pouvoir. Pour moi, déjà, c’est un statement sur comment fonctionne la démocratie en 2013.»
Les deux comédiennes en ont beaucoup à dire sur les enjeux auxquels fait face quotidiennement notre société. L’immobilisme dans lequel nous sommes plongés collectivement, par exemple. Un sujet qui les touche profondément. «C’était assez magnifique de voir de nouveaux partis naître aux dernières élections et que, finalement, ça n’apporte aucun changement», illustre Patenaude. «Il faut attendre que quelque chose s’écroule pour que quelqu’un essaye de changer les choses, réplique Lehoux. Et ce ne sont jamais de très gros bouleversements… C’est pas mal le cycle qui se recycle!» Et Patenaude de conclure: «Il faut recommencer à parler, il faut se dire les choses, il faut redonner la place à la pensée, à la réflexion, aux idées… Et il faut s’écouter.»
Les reines
À la tour Martello 4 à l’occasion du Carrefour international de théâtre
Dates des représentations et info: carrefourtheatre.qc.ca