FTA / Markus Öhrn : Dans le sous-sol de l'amour
Scène

FTA / Markus Öhrn : Dans le sous-sol de l’amour

Attention: théâtre limite. Inconnu du milieu théâtral jusqu’à tout récemment, le plasticien-vidéaste suédois Markus Öhrn offre l’un des spectacles les plus iconoclastes des dernières années avec sa première mise en scène, inspirée de l’affaire Fritzl, Conte d’amour.

L’Autrichien Josef Fritzl, qui a séquestré sa fille pendant 24 ans et lui a fait 7 enfants, est un cas typique d’«amour romantique», selon Markus Öhrn. Tout comme l’affaire Natascha Kampusch, révélée en 2006. Son dérangeant spectacle Conte d’amour tente d’observer le cas Fritzl en sortant des préjugés qui voudraient faire de lui un monstre sanguinaire et pose la dérangeante question: quel est le degré d’amour acceptable entre un père et ses enfants? Inscrivant le questionnement dans un réseau de récits machistes qui montrent le père dans la figure de l’homme puissant et salvateur, Öhrn invite le spectateur à prendre conscience de l’influence encore prégnante du patriarcat dans nos sociétés. Et ce, au moyen d’une esthétique vidéo/théâtre dont le mérite est d’aller au vif du sujet tout en aménageant une certaine distance. Un travail brillant, hors-norme, qui divise et fait réagir partout où il est présenté.

«Quand j’ai commencé à m’intéresser à Josef Fritzl, dit Markus Öhrn, j’ai rapidement lu un essai de Rainer Just sur l’enlèvement de Natascha Kampusch (Against Love) dans lequel il présente cela comme un acte d’amour, dont les intentions premières sont dictées par une forme d’amour romantique qui fonde la cellule familiale occidentale et qui s’appuie sur un désir de possession de l’autre et d’exclusivité de la relation.»

Alors, un monstre, ce Josef Fritzl? L’amour démesuré pour son Elisabeth peut aussi être lu, à une autre échelle, comme une métaphore de la société de consommation, dont les codes se télescopent dans notre rapport aux autres. «Fritzl a voulu posséder sa fille tant aimée, comme il possédait tant d’autres choses. Il était propriétaire, travailleur, il dégageait l’image d’un bon père de famille: il correspondait en tous points au consommateur moyen, à l’image de l’homme parfait dans un système de libre marché comme le nôtre, dans lequel tout est privatisé.»

Dans le spectacle joué en semi-transparence derrière une bâche, les interactions du père avec ses enfants sont filmées et projetées sur un grand écran comme autant de courts films dans lesquels l’étrange famille se met en scène dans des scénarios héroïques. Ainsi, Fritzl devient un médecin sans frontières venu sauver les enfants africains ou un homme fortuné venu se payer à gros frais une prostituée thaïlandaise. «Notre société est totalement contrôlée par des idéologies patriarcales et machistes, dit Markus Öhrn, même si nous ne voulons plus le voir. Les histoires que nous racontons à nos enfants sont déterminées par ce machisme ambiant qui, aujourd’hui, se manifeste de manière inconsciente. Mais notre héritage intellectuel est entièrement traversé par le patriarcat et continue de se manifester dans nos relations avec les autres. Fritzl m’a invité à y réfléchir.»

Dans le cadre du Festival TransAmériques