Carrefour international de théâtre | Joël Pommerat / La grande et fabuleuse histoire du commerce : Le corps d'un commis voyageur
Scène

Carrefour international de théâtre | Joël Pommerat / La grande et fabuleuse histoire du commerce : Le corps d’un commis voyageur

Ça s’appelle La grande et fabuleuse histoire du commerce. Mais sa pièce, Joël Pommerat aurait tout aussi bien pu l’intituler «La grande et fabuleuse histoire d’une dérive».

On ne sait trop comment prendre une entrevue avec Joël Pommerat, présent sur les scènes de France et d’ailleurs depuis 25 ans, et tenu pour l’un des grands de l’actuelle dramaturgie française. Récemment, il passait à Ottawa avec La réunification des deux Corées, où il se risquait au thème de l’amour. Mais avec La grande et fabuleuse histoire du commerce qu’il amène au Québec, il retombe à plein dans le sujet social, comme dans Les marchands qu’il présentait au Carrefour international de théâtre en 2009 et qui s’immisçait dans le travail à l’usine.

Dans un récit jouant sur deux époques, 1960 et le présent, une équipe de vendeurs itinérants dans une chambre d’hôtel dresse le bilan de ses ventes et des records battus. Un sujet plutôt banal. Or l’intérêt, Pommerat le précise d’emblée, était moins de raconter l’histoire de ces vendeurs que de raconter notre société: «Et plus particulièrement… Je ne vais pas créer un scoop, mais c’est le système de consommation, notre société fondée sur le commerce et la consommation. […] Ces personnages, c’est vraiment le prolétariat du système. Et c’est à travers eux, dans leur corps et leur mentalité, que ce monde-là se raconte.»

Pas de déclaration fracassante, donc. Mais un solide travail de terrain, et des formations auprès de coachs vendeurs auxquelles ont aussi participé les comédiens, afin de s’initier aux techniques de la vente et du commerce à domicile. «Mais la condition de ces personnes, je l’ai plutôt imaginée. J’ai imaginé ce que ça pouvait vouloir dire d’être toujours loin de chez soi et de sa famille, à l’hôtel, d’être constamment avec d’autres qui font la même activité professionnelle. Et d’être entre hommes, aussi. […] Mais honnêtement, ce qui m’a le plus intéressé, c’est l’investissement de ces gens-là dans l’acte de vendre, de vendre à tout prix. De créer du désir chez l’autre, de créer du besoin.»

Son objet, il le sait, pourrait prêter à la satire. «Je pense que les vendeurs disent beaucoup de conneries, pour parler simplement: qu’ils sont souvent à côté de la plaque; mais j’essaie de montrer comment ça se passe, comment on en arrive là, ou en tout cas de mettre en situation les choses de manière à ce qu’on puisse regarder autrement la réalité qu’on connaît le mieux.»

«On peut toujours me faire le procès d’être un peu dur avec ce que je raconte et avec les personnes que je mets en scène, mais il n’est pas question de stigmatiser des personnes en particulier. Je disais au départ: "Ces personnes, c’est vraiment la main-d’œuvre de base." Même si eux se vivent parfois comme des princes, ils restent les ouvriers de la société de consommation.»

Le directeur de la Compagnie Louis Brouillard, qu’il a fondée en 1990 et qui se donnait alors pour objectif de créer une pièce annuelle pendant 40 ans, tient le pari jusqu’à maintenant. Reconnu pour la qualité des artistes dont il s’entoure, l’auteur et metteur en scène s’amène avec cinq comédiens, une occasion pour nous de découvrir tout le bien que s’attire sa compagnie, dans ce qui se présente comme l’un des spectacles les plus attendus du Carrefour.

Du 2 au 4 juin

À la Bordée à l’occasion du Carrefour international de théâtre

carrefourtheatre.qc.ca