Un homme, deux patrons : Entre burlesque et commedia
Scène

Un homme, deux patrons : Entre burlesque et commedia

Une commedia dell’arte sans les masques et sans le costume à carreaux d’arlequin, ça se peut? C’est à cet exercice de variation sur le genre que se prête le metteur en scène Normand Chouinard avec Un homme, deux patrons, un divertissement de qualité, mais profondément inégal.

La commedia dell’arte n’a jamais été si québécoise! D’Arlequin valet de deux maîtres, source d’inspiration lointaine de l’auteur Richard Bean, la pièce garde l’intrigue faite de quiproquos et de pirouettes, mais elle n’en a pas le langage. Frédéric Blanchette a adapté le texte anglais pour le camper dans le Magog des années 1960. La répartie est au rendez-vous, mais la saleté de certains personnages a hélas été réduite à quelques blagues faciles sur les seins et les couilles. Un humour aussi puéril aurait fonctionné dans un registre grotesque, mais paraît simplement enfantin dans le niveau de jeu réaliste privilégié par la plupart des acteurs.

Ceci dit, Juste pour rire n’a pas manqué de flair en faisant appel à Normand Chouinard, qui dirige très prestement les scènes physiques, plus proches du burlesque à la manière Olivier Guimond que de la tradition italienne. Les similitudes entre ces deux genres sont évidentes et l’intelligence de ce spectacle est de mettre en évidence les rapprochements entre ces deux traditions comiques. Mais, comme il l’a fait récemment au TNM avec Le dindon, il a choisi de greffer à la partition un élément étranger dont la pertinence n’est pas claire. Au texte de Feydeau, il avait ajouté un procédé de théâtre dans le théâtre pour inclure artificiellement à la pièce un discours critique sur le manque de financement privé dans le théâtre (or, Feydeau n’a jamais voulu exprimer une telle chose). Dans cette pièce de Richard Bean, en plus de flirter avec le même type de métathéâtralité comique, il installe des transitions musicales par un house band rétro tout de rose vêtu qui folklorisent inutilement le spectacle et posent un regard distancié, mais inconsistant sur le Québec culturel de l’époque. Bref, les choix de Chouinard, très spectaculaires et tout à fait aptes à divertir la foule, ne sont pas toujours motivés par le souci de cohérence.

Autrement, le spectacle a du rythme et de l’esprit: il n’en faut pas plus dans ce type de comédie. Mais les acteurs semblent avoir été invités à incarner leurs personnages de manière très libre, ce qui crée des dissonances. Comédien remarquable dont le jeu est d’une grande technicité, Sébastien Dodge offre une savoureuse composition bédéesque, très plastique, et joue dans un registre plus soutenu que Marcel Leboeuf, qui interprète le rôle-titre, ou que Michel Laperrière, dont la diction et la posture molle tranchent profondément avec l’esprit de la pièce. Marc-François Blondin, dans le rôle du jeune amoureux, propose aussi une composition très travaillée, alors que Widemir Normil et Dominique Pétin jouent de manière téléromanesque. Il aurait fallu mieux accorder les flûtes. Leboeuf, qui joue le serviteur maladroit, empêtré dans les tâches que lui confient ses deux patrons, ne s’en tire pas trop mal, mais se montre inconstant: son jeu physique est tantôt proche de l’agitation de la commedia, tantôt très loin des arlequinades que sa vertigineuse partition lui impose.