La puce à l'oreille : Ciel, mon mari!
Scène

La puce à l’oreille : Ciel, mon mari!

Pari réussi au Théâtre du Vieux-Terrebonne, où l’on peut voir la mise en scène classique mais rigoureuse de La puce à l’oreille par Alain Zouvi.

La comédie estivale n’est pas mon territoire favori. Mais j’ai un faible pour Feydeau, à cause de la mécanique implacable de ses vaudevilles, de la fine peinture de caractères archétypaux et de la précision de la langue. Il faut toutefois beaucoup de rigueur de la part des acteurs pour que ce savant assemblage déclenche l’hilarité souhaitée. Les chassés-croisés de Victor-Emmanuel Chandebise et de Raymond Tournel ne peuvent se déployer que dans une certaine virtuosité. Il ne s’agit que d’une ronde de personnages se suspectant mutuellement d’adultère, mais pourtant c’est un ballet particulièrement intriqué.

Alain Zouvi a misé sur une approche très classique, tout à fait respectueuse des codes du boulevard, dans un décor réaliste, sans prétendre à la réinvention. Mais il n’a rien négligé pour que la sauce prenne: sa direction d’acteurs s’appuie sur un jeu physique précis et sur des codes gestuels d’une grande netteté, de manière à proposer des figures archétypales saisissantes, dont les travers s’exacerbent dans une progression dramatique en crescendo, sans fausse note. Jamais trop de précipitation: la pièce s’emballe à bon rythme et atteint son paroxysme physique dans la deuxième partie, sans s’essouffler inutilement dès le premier quiproquo.

Sont ainsi dévoilés avec une grande clarté les caractères de ces bourgeois qui s’ennuient tant dans leurs résidences luxueuses et qui sont de tels monstres d’ego qu’ils se soupçonnent à qui mieux mieux de tout et de rien. Benoît Brière, dans le double rôle de Chandebise et Poche, est à son meilleur. Tout en rapprochant le rôle du burlesque (sa marque de commerce), il ne le dénature jamais et en respecte la langue ciselée et le rythme particulier. Feydeau est une affaire de langage et de choc des cultures linguistiques: à ce titre, Martin Drainville propose une redoutable composition du personnage de Camille, souffrant d’un trouble de prononciation, alors que Luc Guérin joue le macho espagnol avec fureur.

Le théâtre privé n’est pas toujours créé dans les meilleures conditions, parfois sans grande exigence. Au Théâtre du Vieux-Terrebonne, la nécessaire rentabilité des productions ne se fait pas au détriment d’un travail rigoureux. De quoi se réjouir.