Tales from Odessa : La loi du crime
Socalled et ses collaborateurs promettaient de nous faire apprécier le regard unique de l’écrivain russe Isaac Babel sur la pègre juive d’Odessa dans un ambitieux théâtre musical en yiddish. Tales from Odessa est hélas un spectacle folklorique et inconsistant.
Les premières notes de musique klezmer résonnent et tous les regards se tournent vers le petit orchestre juché dans un étage du décor. Musicalement, Tales from Odessa est très évocateur et propose une fusion de klezmer et de musiques juives diverses. Mais ni la dramaturgie du spectacle, ni la mise en scène, ni les marionnettes en théâtre d’ombres de Clea Minaker ne parviennent à sauver cette production du fiasco. À partir d’un recueil de nouvelles stimulant, la folle équipe réunie autour de la metteure en scène Audrey Finkelstein s’est perdue.
Trop propre, trop gentiment chorégraphiée, cette pièce échoue à représenter la saleté de l’univers d’Isaac Babel, auteur à l’écriture ample et souvent déréglée. Les personnages des contes d’Odessa constituent une faune bigarrée, colorée, texturée: des écorchés qu’une vie trop pauvre a rendus férocement rugueux. Or, ils ne sont ici qu’esquissés, de manière bien trop jolie. Le roi des brigands Benya Krik, interprété par Gab Desmonds, n’a pas les mains assez sales. C’est pourtant un personnage fascinant, une sorte de croisement entre Peachum et Mackie, les chefs de bandes rivales de L’Opéra de quat’sous. Ses méthodes sont celles, terribles, de Mackie; ses motivations sont celles, nobles, de Peachum.
L’intrigue se construit dans la bouche d’un vieux sage, narrateur qui tente tant bien que mal de guider le spectateur dans la chronologie trouée de la vie du voyou. Il aurait sans doute mieux valu respecter l’aspect fragmentaire du recueil de nouvelles et ne pas s’embarrasser de cette histoire linéaire dans laquelle il manque trop d’éléments. Mais surtout, le livret ne donne pas accès à la langue de Babel, peut-être à cause des multiples passages d’une langue à l’autre qui ont été nécessaires pour construire cette partition (du russe à l’anglais au yiddish), à travers lesquels la langue s’est inévitablement édulcorée. Il manque l’ironie, la malice, la fantaisie, la drôlerie: tout semble avoir été aplati.
Qui plus est, le travail marionnettique, dans une esthétique très naïve, est totalement illustratif et surexplicatif. Dommage.
*Présenté en yiddish avec surtitres français et anglais