Festival d'Avignon 2013 : Vive la France
Scène

Festival d’Avignon 2013 : Vive la France

Le festival d’Avignon est un joyau culturel français. Mais les metteurs en scène français ne sont pas toujours ceux qui s’y illustrent le mieux, les Allemands et les Flamands leur opposant une sérieuse concurrence. Sauf cette année, alors que les Julien Gosselin, Stanislas Nordey, Christian Rizzo et Antoine Defoort brillent de tous leurs feux.

Julien Gosselin, le nouveau prodige

Dès que j’ai mis les pieds à Avignon et bu mon premier verre de rouge sur la Place des Corps Saints, on ne m’a parlé que de Julien Gosselin. Il a 26 ans et sa mise en scène des Particules élémentaires, d’après le roman-phare de Michel Houellebecq, a suscité une rare unanimité au sein du gratin avignonnais. Depuis sa sortie de l’école de théâtre en 2009, Gosselin a monté Gênes 01, de Fausto Paravidino, et Tristesse animal noir, d’Anja Hilling. Jusqu’à ce qu’il se décide à adapter son roman favori de Michel Houellebecq, dont il éclaire magnifiquement les enjeux et dont il capte superbement la temporalité fracturée. Un peu comme l’onde de choc causée par Vincent Macaigne en 2011, Julien Gosselin a comblé les désirs des festivaliers en quête de sang neuf, qui attendent chaque année un jeune prodige à porter aux nues. 

Faut dire qu’il est doué. Son adaptation et sa mise en scène sont absolument sans fausses notes. Sans proposer de véritable relecture, il met en relief, dans un spectacle hyper-fluide, ce que l’écriture de Houellebecq a de plus puissant. Sont abordés de front le regard unique de Houellebecq sur la misère sexuelle (dans une société qui survalorise la fornication), ses habiles entrelacements de concepts scientifiques et de réflexions sur les relations humaines et, surtout, sa traversée lucide de l’histoire des mouvements culturels français et de leur individualisme insidieux, de l’hédonisme de Mai 68 jusqu’aux meurtres en série des années 1990. Et ce, sans sombrer dans la dérive pornographique que ce roman sulfureux aurait pu entraîner. 

Gosselin s’attache surtout aux idées et à la portée philosophique du roman. Visiblement amoureux de l’oeuvre et des idées de l’auteur, il adhère sans réserves à ses thèses sur la paix humaine qui ne serait possible que lorsque l’humanité aura été remplacée par une nouvelle race créée bio-génétiquement. C’est là sa principale audace: la finale du spectacle est traversée d’un étonnant enthousiasme pour les modifications génétiques sur l’humain, qui sont d’actualité mais tout de même controversées. Gosselin n’a pas l’ombre d’un malaise avec l’idée de contrer les lois de la nature humaine. Pas une seule réserve, aucune retenue. Ça a le mérite d’alimenter de vives discussions à la sortie du spectacle.

Mais ce qui a surtout suscité la dithyrambe, c’est la très belle esthétique mi-concert-pop mi-théâtre-filmé, qui met à profit la musique, la vidéo, le surtitrage et les voix amplifiées pour créer un très efficace dispositif de narration dans lequel se déploie avec cohérence un dialogue fertile entre la voix du narrateur et celles de ses personnages. Pas tout à fait original et, à vrai dire, parfaitement dans l’air du temps (ce travail évoque par moments l’esthétique de Joël Pommerat ou les mises en scène du jeune David Bobee), cet envahissement des codes du concert sur le plateau de théâtre est toutefois apte à transformer l’écriture romanesque en un très riche matériau dramatique.

Stanislas Nordey fidèle à lui-même

Avec Dieudonné Niangouna, le metteur en scène Stanislas Nordey (que les Québécois ont notamment vu dans Ciels, de Wajdi Mouawad) est artiste associé du festival d’Avignon cette année. Architecte d’un très austère et très rigoureux théâtre de texte, qui repose sur une énonciation traînante et très chirurgicalement découpée, Nordey est fidèle à lui-même dans Par les villages, le très beau texte de Peter Handke qu’il a mis en scène dans la prestigieuse Cour d’Honneur du Palais des Papes en début de festival. Corps quasi-immobiles, parole étirée et longs monologues successifs s’allient pour créer un puissant théâtre mental qui restitue à merveille le rythme de l’écriture et lui donne tout son relief, à condition de bien tendre l’oreille. L’expérience est exigeante pour le spectateur mais salutaire à celui qui saura s’y montrer disposé. Grand texte sur la condition ouvrière, Par les villages contient une parole engagée mais non dénuée de mystère et de zones d’ombre, évitant par là tout moralisme. 

Le triomphe de Christian Rizzo

S’attaquant au fameux thème du «vivre ensemble», l’un des sujets favoris de la danse contemporaine, le chorégraphe Christian Rizzo courait le risque de se perdre dans une énième exploration éculée des figures de groupe et de l’individu découvrant soudainement, en quelques mouvements vers l’autre, le sens de la cohabitation. L’écueil a heureusement été évité. Si sa pièce D’après une histoire vraie débute effectivement par l’apparition d’un danseur seul qui sera vite rejoint par un trio puis un groupe, elle ne tardera pas à revisiter des mouvements de danses folkloriques avec une touchante délicatesse, celle de corps à fleur-de-peau qui se lancent dans une danse aux relents traditionalistes avec enthousiasme et intuition. De ce mouvement émerge un langage chorégraphique très précis, qui évoque superbement notre penchant naturel vers le regroupement et notre besoin inné de vibrer à l’unisson. Sans sensiblerie, dans une bonne humeur toute naturelle, les danseurs semblent insensibles à l’individualisme ambiant. Le tout est impulsé par les percussions de Didier Ambact et King Q4. Une réussite sur presque toute la ligne (la pièce n’échappe pas à certains clichés lors de quelques morceaux dansés en couple, où les sempiternelles chutes et portées semblent issues d’une autre pièce, peu cohérentes avec l’univers proposé).

L’invention de l’humanité par Antoine Defoort et Halory Goerger

Les fidèles spectacteurs du Festival TransAmériques (FTA) n’ont pas oublié Antoine Defoort et Halory Goerger, qui ont présenté en 2012 le petit bijou de théâtre-science-fiction &&&&& & &&&. Souhaitons que le FTA les réinvite dans un avenir proche: leur nouveau spectacle intitulé Germinal (rien à voir avec le roman de Zola) est une affaire hautement jouissive: une courte pièce aussi intelligente qu’hilarante. Le travail de ces créateurs hors-norme, regroupés dans une structure gentiment appelée L’amicale de production, s’appuie sur un regard profondément décalé sur le monde, un mélange de candeur et de dialectique qui les mène à réinventer l’humanité à partir de tous nouveaux paramètres, tout en dévoilant avec un humour irrésistible les mécanismes du raisonnement humain. 

La scène est noire et vide au début du spectacle. Puis apparaissent quatre humains aux visages interloqués, qui apprendront par eux-mêmes à communiquer, d’abord par surtitrage, puis par télépathie, jusqu’à ce qu’ils découvrent les sons que produisent leur appareil phonatoire. Et ainsi de suite: le monde leur apparaît dans toute sa complexité et les voilà qui tentent de catégoriser leurs découvertes dans un schéma  improbable. Jusqu’à une finale en forme de comédie musicale nouveau genre, où règne non pas le trémolo mais bien «une succession d’événements de cohérence spatiotemporelle». On en redemande.

Le 67e Festival d’Avignon se poursuit jusqu’au 26 juillet.