Sociofinancement en théâtre : Une pratique marginale
Sociofinancement

Sociofinancement en théâtre : Une pratique marginale

Les artistes de théâtre sont encore peu nombreux à tenter le coup du sociofinancement, qui constitue certes à leurs yeux une occasion privilégiée de développer des réseaux d’aficionados, mais qui ne peut jouer qu’un rôle mineur dans un milieu asphyxié, sous-financé et constamment menacé de subir des coupes d’aide financière étatique.

Quand Patrimoine Canada a annoncé qu’il ne verserait pas cette année la subvention qu’il avait l’habitude d’octroyer au festival OFFTA, la directrice artistique Jasmine Catudal a rapidement enclenché une opération de sociofinancement sur la plateforme Indiegogo. À quelques semaines de l’événement, la décision de l’organisme subventionnaire aurait pu mener à l’annulation pure et simple du festival. «On avait déjà l’intention de tenter le sociofinancement, explique-t-elle, parce qu’on est sous-financés de toute façon. Mais le désengagement de Patrimoine Canada a précipité les choses.»

Les autres compagnies d’arts de la scène ayant essayé les plateformes de sociofinancement se comptent pratiquement sur les doigts d’une main. Une jeune troupe, Le Théâtre Sans Domicile Fixe, a mené une campagne récemment et le Théâtre de la Petite Marée, à Bonaventure, vient de se lancer. Difficile de faire le compte de manière exhaustive quand les pages Kickstarter et Indiegogo disparaissent du cyberespace après usage, mais il est clair que les initiatives sont encore rares au sein du milieu théâtral.

Simon Brault, directeur de l’École nationale de théâtre, président de Culture Montréal et vice-président du Conseil des Arts du Canada, suit ce dossier de près et confirme que «les initiatives de sociofinancement en théâtre sont plutôt marginales, sinon anecdotiques. Mais, ajoute-t-il, cela ne veut pas dire que certaines compagnies de théâtre, en particulier les petites compagnies anglophones à Montréal, mais aussi d’autres groupes émergents, n’y ont pas recours avec un succès réel compte tenu de l’échelle de financement dont on parle. Le sociofinancement n’est pas pour le moment une solution possible à un sous-financement endémique, mais il est certainement une avenue à emprunter pour bâtir à terme une culture philanthropique qui est encore sous-développée».

Même son de cloche du côté de Jasmine Catudal, qui croit au potentiel du sociofinancement, mais se garde bien de trop s’enthousiasmer. «Le sociofinancement n’a rien de magique. C’est l’une des options intéressantes qui s’offrent désormais à nous, mais évidemment, des initiatives de ce genre ne remplaceront pas la réflexion de fond qu’il faut enclencher sur la manière dont sont accordées en ce moment les subventions par les conseils des arts.»

Néanmoins, la campagne menée pour le OFFTA a permis de mesurer les possibilités de réseautage offertes par le sociofinancement et les liens durables qui peuvent être créés par là avec une partie des spectateurs du festival. «Ça permet aux gens de s’approprier le festival d’une autre manière, dit Catudal. Pour nous, ça s’est inscrit dans une démarche globale de communications: notre campagne nous a rapprochés de notre public et a intéressé des personnes influentes dans le milieu culturel, mais également des gens appartenant à des réseaux dont les intérêts sont similaires aux nôtres. Dans cette démarche, le plus important a été de bien choisir l’angle avec lequel on a présenté notre campagne, et en quelque sorte cette démarche communicationnelle a permis de faire un travail de sensibilisation à l’état actuel du financement, alors que Patrimoine Canada coupe un peu partout.»

Le nerf de la guerre, c’est donc le message. Simon Brault l’expliquera d’ailleurs en d’autres termes, arguant que «développer un argumentaire simple et efficace pour solliciter activement un appui financier populaire nécessite un engagement intellectuel, artistique, émotif et organisationnel qui est essentiel pour obtenir des dons. Le recours à la philanthropie est incontournable, mais il n’est pas une panacée et il restera sans lendemain s’il n’y a pas de véritable intention d’être en relation avec les gens dont on veut l’appui».

L’expérience du milieu théâtral semble donc indiquer, comme l’explique encore Simon Brault, qu’«il ne faut pas déconsidérer le potentiel du crowdfunding en le présentant comme une alternative sérieuse au financement public ou à la billetterie, mais plutôt comme une occasion dont on peut se saisir pour développer des relations avec celles et ceux pour lesquels on fait du théâtre».

En ce sens, le Groupe de travail sur la philanthropie culturelle (rapport Bourgie) vient de proposer la création d’une plateforme québécoise Internet de sociofinancement qui serait gratuite pour les utilisateurs et qui s’accompagnerait d’un soutien logistique et communicationnel aux organismes culturels. Une histoire à suivre.