History of the devil : De la sympathie pour le diable
Fantasia s’ouvre au théâtre: la compagnie Title 66 y présente The history of the devil, l’une des rares pièces de théâtre de Clive Barker, romancier maître de l’horreur et du fantastique. Ambitieuse, la jeune compagnie propose un travail honnête autour d’un texte foisonnant qui aurait nécessité davantage de moyens et d’inventivité.
Il y a dans ce texte une volonté de poser, d’un seul regard surplombant, un diagnostic de l’état de l’humanité et de capter, en un vaste mouvement, les tiraillements de l’humain entre le bien et le mal, l’amour et la haine, l’altruisme et le narcissisme. Le diable (excellent Lucas Chartier-Dessert), soumis à un procès qui déterminera s’il a droit au paradis, y devient une figure séduisante, mi-humaine mi-démoniaque, habitée par la dualité. À travers cette dualité sont révélés les travers des autres personnages, ceux-là bien humains mais évidemment jamais irréprochables, de plus en plus diaboliques eux-mêmes.
C’est un texte foisonnant, démesuré, qui, en revisitant des épisodes de la vie de Lucifer sur Terre au fil des époques, de l’Antiquité à l’époque actuelle, montre le diable dans des situations troubles (le viol et le racisme n’en sont que les plus spectaculaires incarnations). Chaque fois, le regard s’éloigne de l’accusation pour observer d’un oeil plus large et pour montrer la lutte qui s’enclenche entre la pulsion de mort et la pulsion de vie, entre le geste cruel et le geste d’amour. À cet égard, le texte de Clive Barker s’inscrit dans la lignée du Faust de Goethe, exposant Satan dans une continuelle lutte entre ses versants sombres et lumineux, montrant les zones d’ombres de l’humanité dans toutes leurs nuances de gris et exprimant le vertige dans lequel nous placent le crime et la haine, qu’il est impossible de catégoriser et de rationaliser complètement. Une oeuvre à haute teneur philosophique, donc, dans laquelle pointe aussi un regard absurde sur le monde, que n’aurait pas renié Camus. «This world is senseless», s’écrie notamment le diable lors d’une scène clé, dans un élan de lucidité.
La mise en scène de Jeremy Michael Segal ne néglige aucun aspect de cette écriture foisonnante et la donne à entendre de manière claire et limpide. Mais c’est une production modeste, sans prétention, qui échoue en partie à rendre en images la profondeur symbolique du texte. Autrement dit, le spectacle restitue bien l’action, les situations, mais n’en capte pas particulièrement bien le potentiel poétique, les images fortes. Quand Lucifer rencontre Jésus, par exemple, la scène ne quitte pas la conversation banale, alors que le texte est chargé de symboles. Autrement dit, c’est une lecture simple d’une oeuvre qui offrait de nombreuses possibilités. Mais dans le contexte d’une création modeste, par une jeune troupe, dans un laps de temps que l’on suppose limité, il aurait été difficile de choisir une autre voie.
Tout de même, le jeu est ample, bien que surexcité par moments, et le spectacle tire profit des ombres chinoises et du jeu masqué, ce qui permet d’exprimer la dimension plus grande que nature des personnages. La production est simplement trop ambitieuse.
Reste qu’il fallait des couilles pour s’attaquer à une telle partition. Les comédiens de Title 66 n’en sont pas dépourvus.
The history of the devil est à l’affiche de la 5e salle de la Place des Arts, à l’occasion du festival Fantasia, jusqu’au 3 août. Représentations en anglais.