Dramaturgies en dialogue : Cap sur l'Afrique
Scène

Dramaturgies en dialogue : Cap sur l’Afrique

Dramaturgies en dialogue propose de plonger dans l’écriture d’Aristide Tarnagda (Burkina Faso), Julien Mabiala Bissila (Congo) et Gustave Akakpo (Togo). Jessie Mill, du Centre des auteurs dramatiques (CEAD), raconte cette première étape québécoise d’acclimatation des dramaturgies africaines.

Une chose est sûre: il est temps de s’y mettre. Les autres nations francophones jettent depuis de nombreuses années un œil attentif sur les dramaturgies africaines contemporaines. Au Québec, c’est le désert, l’ignorance crasse, le désintérêt total. 

Comment l’expliquer? «Je crois que le problème vient d’abord de la difficile circulation des textes, dit Jessie Mill, conseillère aux projets internationaux au CEAD. Mais le Québec n’entretient pas avec l’Afrique de rapports complexes dus à l’héritage de l’époque coloniale, comme la France ou la Belgique. Ce rapport conduit souvent les Européens à une sorte de bienveillance, de curiosité qui nous font défaut. Il faut assumer notre américanité: elle fait de nous des ignorants en matière de culture africaine, mais elle nous donne aussi un regard neuf sur ces écritures-là. On peut aussi s’en sentir proches à cause de nos propres problèmes identitaires liés au colonialisme.»

Mieux vaut tard que jamais. Le CEAD s’engage dans une longue fréquentation des textes africains, à commencer par ceux du Congo et du Burkina Faso. «On est dans une perspective de construction, dit-elle. Il s’agit de développer des liens qui vont permettre que se créent des mises en scène ici. Avec Aristide Tarnagda, c’est déjà commencé; il passe un mois à Montréal et fait une résidence.»

Ancrée dans un rythme hip-hop, entre l’Afrique et l’Occident, entre le passé et le présent, son écriture est aussi voyageuse qu’enracinée. «Il y a chez les trois auteurs que nous avons choisis un rapport très vif avec le territoire et les enjeux reliés à la guerre, mais j’ai aussi été particulièrement intéressée par la place des femmes dans ce théâtre-là: des personnages féminins vraiment formidables. Aristide a écrit plusieurs pièces pour actrices, notamment une pièce extraordinaire sur la polygamie.»

Difficile de tirer des généralités ou d’identifier des passerelles entre les écritures d’Aristide Tarnagda, Julien Mabiala Bissala et Gustave Akakpo, mais Jessie Mill tente le coup. «Ils ont certainement une langue commune, une musicalité, un rythme; une langue porteuse d’une prosodie apte à nous déplacer très loin, tout en faisant écho à ce que crée notre propre langue théâtrale. Ça passe par un rapport très rythmique avec les mots, avec la syntaxe, mais c’est surtout une langue vraiment tendue vers le spectateur, vers l’autre.»

Dans Au nom du père et du fils et de J.M. Weston, Julien Mabiala Bissila écrit sur les fantômes de la guerre. Il crée un théâtre de la disparition mais, en même temps, dit Jessie Mill, «il est constamment dans le présent, dans des histoires impossibles qui ramènent les personnages dans le moment; il y a un côtoiement des morts et des vivants qui est d’ailleurs présent dans beaucoup de textes que j’ai lus, une sorte de fluidité dans les imaginaires, dans une temporalité très hétérogène.»

Le rapport au temps est à certains égards similaire chez Gustave Akakpo, homme de théâtre érudit qui ancre sa pièce À petites pierres dans un dialogue avec les grandes œuvres du répertoire classique. «C’est un penseur du théâtre, raconte Jessie Mill, et il évolue sur le terrain du social, entremêlant l’histoire du théâtre et les réflexions sur le monde sociopolitique. C’est passionnant.»

Dramaturgies en dialogue se déroule du 23 au 29 août au Théâtre d’Aujourd’hui. Détails au dramaturgiesendialogue2013.wordpress.com.