Dans un passé pas si lointain, pendant une adolescence festive et vaguement hippie sur la rive-sud de Québec, des connaissances à moi passaient leurs week-ends à se costumer en chevalier pour combattre l’ennemi. Se fiant à mon intérêt pour le théâtre, ces quelques enthousiastes ont maintes fois tenté de me convertir à leur groupe de friands des jeux de rôle Grandeur Nature. Or, la perspective de respecter une série de règles compliquées pour évoluer dans un monde fictif ne m’a jamais tellement excité.

Reste que le phénomène GN est incontournable et que ma curiosité à son égard n’a jamais pu être annihilée. De nombreux sociologues et psychologues ont bien compris en quoi les GN reflètent la nécessité pour l’humain de vivre une expérience collective signifiante et de sublimer ses imperfections à travers un personnage médiéval qui pourra agir comme révélateur de soi.

C’est ce qui arrive à l’un des personnages de Daiquiri et cottes de maille, l’une des pièces produites cet été à Longueuil par le Théâtre du 450, cette jeune troupe qui joue la comédie de manière intelligente et ludique depuis plusieurs années sur la rive-sud de Montréal.

Soyons clairs, contrairement à ce que peut laisser croire l’introduction de cet article, la pièce n’a pas de prétention psychologique et ne tient pas de discours social: elle repose avant tout sur un humour de contrastes, s’amusant des disparités entre l’univers médiéval des GN et le campement d’un trio de vacancières perdues dans la forêt québécoise alors qu’elles ne rêvent que de daiquiris et de plages ensoleillées.

Et c’est effectivement rigolo, sans provoquer d’hilarité.

Elles sont trois, viennent d’être licenciées et pleurent les vacances dans le Sud dont elles sont privées en cette année de disette. Dans leur installation de camping rudimentaire surgissent deux amateurs de jeux de rôles qui les prennent pour des princesses à sauver afin de devenir les meneurs du jeu. Le daiquiri coule à flots pendant que le banjo lance les notes d’une mélodie ancienne: la rencontre de ces univers farouchement opposés suffit à créer des situations décalées, absurdes, et à multiplier les quiproquos. S’ajoute, pour que la sauce comique prenne, un jeu de contrastes dans les personnalités des personnages. Les joueurs de GN forment le duo classique de l’âme pure et du comparse récalcitrant, alors que les trois jeunes femmes obéissent aux clichés de la femme mûre à l’appétit sexuel débordant, de la nymphette candide et de la fille ordinaire et ordonnée qui leur sert de faire-valoir.

Néanmoins, ces personnages à priori unidimensionnels vivront une étonnante métamorphose en étant peu à peu forcés de jouer des rôles inattendus, dans cette partition qui multiplie pour eux les occasions de se réinventer.

C’est le principe même du GN, à supposer qu’on y adhère sans retenue et qu’on y jette un regard candide: devenir enfin la personne insoupçonnée qui se cachait à l’intérieur de soi et qui ne demandait qu’à être révélée à la faveur de quelques mascarades.

Traité sous forme comique, c’est un scénario plutôt fertile. Le texte de Valérie LeMaire, Véronique Pascal et Anne-Hélène Prévost est un brin trop verbeux, au détriment de la répartie qu’on aurait souhaité y trouver, et sa progression est un peu lente. Mais il est juste assez caustique et, surtout, il tire profit d’un univers médiéval au potentiel comique certain, traversé de personnages colorés. Le travail du Théâtre du 450 est modeste, sans prétention; la mise en scène de Jean Belzil-Gascon joue de simplicité et de sobriété, mais il faut souligner la bonne idée de camper ce récit aux abords d’un GN et sous la menace d’une inquiétante guerre médiévale.

Daiquiri et cotte de mailles est à l’affiche jusqu’au 31 août à la Chapelle St-Antoine, 150 rue Grant, Longueuil