Projet Bocal : Décalé et paranormal
Scène

Projet Bocal : Décalé et paranormal

On a dit beaucoup de choses au sujet du Projet Bocal. Absurde, ludique, farfelu, décalé, étrange et autres synonymes ont tous été martelés pour décrire l’univers de Simon Lacroix, Sonia Cordeau et Raphaëlle Lalande. Avec raison.

Passant du coq à l’âne dans une collection de saynètes improbables, les trois comédiens font effectivement dans l’absurde et la dérision. Mais j’ai été davantage intéressé par leur exploration de l’indisposition ou de l’embarras. Dans une scène qui les réunit autour d’une crème glacée, ils explorent particulièrement finement les possibilités dramaturgiques du malaise, ou plutôt du micro-malaise, celui qui se produit dans les interstices d’une conversation, dans  les silences, dans les demi-mots. Si l’objectif est d’abord le rire, il y a derrière cet humour décalé un regard pointu sur les mécanismes de l’interaction. Même sans se prendre trop au sérieux, les acteurs sont presque dans une démarche de microsociologie, et certains de leurs dialogues fournissent une illustration éloquente des principes de l’interactionnisme symbolique, qui permettent de jeter un regard lucide sur la communauté humaine à partir des interactions les plus banales. Amours, amitiés et relations familiales y sont scrutées au microscope. Et gentiment ridiculisées.

Peu de gens de théâtre savent, comme eux, flirter avec le paranormal ou avec l’inexplicable. Quand ils découvrent un bocal vide, à travers lequel la réalité paraît déformée, ils semblent soudainement parachutés dans un univers parallèle, où la fonction dudit bocal est pour un court moment détournée et soumise à toutes les remises en question. S’appuyant avant tout sur une certaine candeur, sur une observation vierge du monde, à travers laquelle se confondent l’émerveillement et l’inquiétude, les trois acteurs plongent dans une énergie enfantine tout en conservant leur aspect adulte – ce qui crée une douce étrangeté.

Moins convaincantes sont les chansons, inexplicablement proches de celles de Lisa Leblanc ou des sœurs Boulay. Sans doute ne faut-il pas se poser trop de questions à leur sujet: elles ont visiblement été intégrées au spectacle dans un souci de légèreté. Mais elles s’y arriment plus ou moins bien. N’empêche, comme Simon Lacroix et ses comparses aiment le décalage, ils ont aussi opté pour une désynchronisation temporelle: dans leur décor à l’esthétique surannée, ils chantent aussi des reprises de vieux succès. Leur version de Total eclipse of the heart, de Bonnie Tyler, est aussi harmonieuse que ludique.

 

Projet Bocal est à l’affiche du Petit Outremont jusqu’au 13 septembre