Frédéric Dubois / Dévadé : Dans la langue de Ducharme
Scène

Frédéric Dubois / Dévadé : Dans la langue de Ducharme

Frédéric Dubois connaît l’œuvre de Réjean Ducharme comme personne. Avec Dévadé, qu’il met en scène à La Bordée, c’est un vieil ami qu’il retrouve.

Quand on l’interroge à propos de Dévadé, le metteur en scène Frédéric Dubois se cale dans son siège, sourire en coin: «Ben, moi… c’est Réjean Ducharme: c’est comme mon vieux pote…»

Parce qu’il faut rappeler que les pièces de Ducharme, il les a presque toutes montées, du Cid maghané à Ines Pérée et Inat Tendu, de Ha ha! jusqu’au collage de textes À quelle heure on meurt? «Pour moi, c’est un maître à penser. C’est une littérature et une écriture qui ont inspiré tout le début de mon travail: comment aborder les mots, la poésie et la littérature sur scène. […] Sa façon de décrire le monde, la façon dont il arrive à faire se côtoyer le quotidien et le sublime… C’est majeur, cette écriture-là!»

Il était naturel que Marianne Marceau, qui signe l’adaptation du roman, se tourne vers lui pour la mise en scène; et il était naturel pour lui d’adhérer au projet, devant une adaptation qu’il qualifie de «fabuleuse»: «Les adaptations ne sont pas toujours heureuses; souvent, le passage des romans au théâtre est difficile parce qu’il y a tout un élément narratif dont tu n’arrives pas à te débarrasser. Or, Marianne a réussi à créer du théâtre avec le roman. Elle a fait des choix très serrés, elle a sacrifié beaucoup de choses, mais toute l’essence du roman est là.»

Dévadé raconte l’histoire de la patronne (Sylvie Cantin), qui rêve de tendresse avec Bottom (Hugues Frenette), lequel, alors qu’il s’abîme dans le sexe avec Nicole la toxicomane (Marianne Marceau), rêve plutôt d’un amour impossible avec Juba (Véronique Côté), qui veut au contraire Bruno (Éliot Laprise), lequel lorgne cependant vers les États-Unis et un rêve de liberté.

Des marginaux dans Hochelaga-Maisonneuve qu’on peut prendre pour ce qu’ils sont, mais dans lesquels Dubois ne peut s’empêcher de voir un miroir: «Ce qui est beau avec Ducharme, c’est que ça parle vraiment de nous et du Québec. Et de notre incapacité à tenir à quelque chose.»

Ces traits seront manifestes dans la figure de Bottom, par exemple: «Il est pris dans son inertie: une incapacité d’affirmation. C’est pour ça que je dis que c’est québécois. Les personnages ont une pensée et une poésie déroutante, des mal-être tellement sentis et qu’on a tous. Mais ça reste en somme le problème du petit qui ne sait pas grandir, et c’est toute l’histoire de Ducharme: son œuvre, c’est l’enfant qui ne peut pas vieillir, une volonté qui ne peut pas se réaliser.»

Là-dessus, Dubois rappelle Robert Charlebois et les paroles de Mon pays ce n’est pas un pays c’est un job, l’un de ses nombreux textes signés Ducharme:

«Ça arrive à manufacture

Les deux yeux bouchés ben durs»

La langue de Ducharme a traversé les limites des genres, a colonisé la chanson et le cinéma autant que le roman et le théâtre. La mise en scène de Frédéric Dubois, justement, compte laisser toute la place aux mots: «Ce sera d’une simplicité désarmante. Mais j’ai très hâte que vous le voyiez. C’est super. Mais je ne veux rien dire de plus.»