Quand la mer / Périscope : Les grandes migrations
Scène

Quand la mer / Périscope : Les grandes migrations

Avec Quand la mer…, présentée au Périscope, le metteur en scène Philippe Soldevila s’attèle une fois de plus à ce qu’il sait faire de mieux: raconter.

C’est une histoire de collaboration et d’ouverture, comme il nous y a habitués, que le Théâtre Sortie de Secours (Québec-Barcelone, Santiago), la compagnie que dirige Philippe Soldevila, prépare avec une équipe de création issue du Théâtre du Nouvel-Ontario (Sudbury) et du Théâtre de la Vieille 17 (Ottawa). Ensemble, ils présentent Quand la mer…: «L’histoire suit un petit village de pêcheurs, dans un lieu indéterminé où on a vécu selon des traditions depuis des générations et des générations; tout d’un coup, des transformations s’opèrent quant au niveau de la mer, qui se retire progressivement.»

Le texte, signé Esther Beauchemin, s’inspire de la disparition au Kazakhstan de la mer d’Aral, asséchée au profit de la culture du coton: un récit en forme de conte «épique», six comédiens interprétant quatorze rôles au fil de quatre générations: «Ils en arrivent à se dire: "Il faut sans doute partir. Et si on part, ça veut dire qu’il faut qu’on se transforme."»

Écho immanquable d’une époque où les mouvements de populations ne font que s’accroître, le texte s’abstient toutefois de quelque apitoiement: «Toutes les sociétés se transforment! Même nous, on a beau vouloir défendre notre culture, nos manières de faire, nos traditions, notre société se transforme. Eux sont dans une société archaïque. Tout le monde rêve de passer à la modernité; mais en allant chercher cette modernité, ils ont perdu quelque chose. Les femmes, cependant, ont acquis beaucoup plus de force: il y a une montée du pouvoir des femmes, avec la technologie.»

On cherchera en vain le propos provocateur ou la déconstruction du récit; la pièce se veut moins rompue à l’épate qu’à un souci qui, comme la mer d’Aral, semble parfois se perdre: celui du récit bien raconté: «Souvent, on va dire que l’audace, c’est d’aller au fond d’un genre. Un show trash, par exemple, où chacun se retrouve nu et où tout le monde saigne… L’audace, au contraire, est de faire une comédie, un conte, quelque chose en dehors de ces schèmes-là.»

«Je conçois le théâtre comme un acte de communication, reprend Soldevila. À partir du moment où un spectateur regarde l’heure, c’est fini. Mon travail en est un d’horloger. Il consiste à couper tout le bruit, au sens de la communication: tous les avions qui passent au-dessus de la pièce et qui vont nuire à ce qui se passe sur scène.»

On peut s’attendre à une histoire bien racontée, donc, et plurivoque: chacun y trouvera bien ce qu’il veut, mais le thème de l’identité, cher au metteur en scène, ne sera jamais loin: «Si tu es obligé de partir, c’est toute une histoire que tu abandonnes. C’est une tragédie! En même temps, c’est que tu vas en construire une nouvelle. Cette cassure, tu vas la porter en toi. Les mouvements, l’identité, l’immigration sont des bouleversements immenses, mais ce qui prime est qu’on survit: c’est la résilience. Quand la mer… est une histoire dure, mais belle, et d’où l’être humain sort malgré tout vainqueur.»