Rentrée – Théâtre : Automne 2013: un survol
Nous ne sommes pas si assoiffés de nouveauté que les bons spectacles doivent s’éclipser dès qu’ils ont montré le bout de leur nez; la saison qui s’annonce présente plusieurs reprises – entre autres –, et c’est tant mieux.
De la grande visite
Les Aiguilles et l’opium trace un trait de l’Amérique à l’Europe. Cocteau revient chez lui en écrivant Lettre aux Américains, Miles Davis visite la France sur la vague du bebop; et reclus, esseulé dans un hôtel de Paris, un Québécois trouve dans la vie des précédents un écho de sa peine d’amour, de son incapacité de briser: Cocteau faiblissait pour l’opium et Davis, pour l’héroïne. La directrice artistique du Trident ne voulait pas rater son coup pour l’ouverture de sa première saison; le texte de Robert Lepage, qui donne ici une nouvelle mise en scène à sa pièce montée en 1991 et vue autour du globe, crée déjà l’événement. S’ajoute au portrait la figure de Marc Labrèche, qui reprend ici le rôle principal, qu’il tenait à l’origine.
Tractations et coulisses
Grande-Bretagne, de nos jours. Après le déclenchement subi des élections, un parti politique se voit catapulté dans le malstrom de la campagne pendant que son chef, George Jones (Normand Bissonnette), est pour sa part plongé dans un combat intime. Entre les valeurs à défendre et les choses qu’il faut dire pour accéder au pouvoir, entre les idéaux et la réalpolitik, L’absence de guerre du britannique David Hare (The Hours) le montre privé de sa propre parole. La pièce, résolument politique, que la metteure en scène Édith Patenaude transporte ici sur les planches du Trident, avait remporté les honneurs lors de son adaptation présentée au Théâtre Premier Acte il y a deux ans.
L’heure des choix
Pour échapper à leur pays de misère, à ses conditions de vie et aux douze heures de travail quotidiennes, Telma et son fils Paco comptent atteindre le Mexique, puis le traverser à toit de trains de marchandises, clandestinement et au péril des gangs de rue, pour rejoindre les États-Unis, la liberté, l’espoir. C’est la proposition de Frontières. Quand sa mère se rompt les deux jambes lors d’une chute, Paco se trouve coincé: demeurer, ou poursuivre le rêve. Disjonction du destin, dont le texte d’Isabelle Hubert (La robe de Gulnara) déploiera les deux termes: Paco resté, Paco parti. Et les conséquences qui attendent toujours, de l’autre côté des choix. Direction La Bordée.
Les brebis
Réservoir du non-sens le plus gênant, l’actualité a de quoi faire rire… ou pleurer. Désireuse de ne pas sombrer, la promotion 2013 du Conservatoire d’art dramatique de Québec a statué: passons tout ça au tordeur de l’ironie. La Boîte, donc, reprise ici à Premier Acte. Au moyen d’une invention diabolique distribuée dans les foyers, un homme s’assure la soumission populaire. Lui, c’est Bobby Watson, le PDG ambitieux; en bas, ce sont les Brebis Bérubé, béates dans leur servitude. Ionesco n’est pas loin, dans cette histoire de succession qui tourne mal et de trafic d’influence, qui s’échine à dénoncer les absurdités du quotidien et, peut-être, à réveiller l’exaspération.
Hurlement (n.m.)
Matin d’hiver, moins vingt-sept au mercure; Billy, quatre ans, est laissé à l’abandon dans une voiture. Devant l’inacceptable, une femme décidera de se lever et de dénoncer la négligence. Billy (Les jours de hurlement), se présente comme un enchevêtrement de personnages qui feront tous de même; une pièce drillée à l’incapacité de tolérer une injustice de plus, à la nécessité de hurler. L’auteur Fabien Cloutier a une langue qui décape, qui arrache, des mots travaillés pour nous et par lesquels il est difficile de ne pas se sentir interpellés. Le Périscope offre ici l’occasion de le retrouver ou de le découvrir, dans une pièce qui lui a valu le prix Gratien-Gélinas ainsi qu’une nomination au Prix du Gouverneur général.
Visage de feu
Kurt et Olga, frère et sœur à qui leurs parents inspirent du dégoût: elle est prisonnière de son enfance et retient l’explosion, lui refuse de vieillir, dans le courroux qu’il couve à l’endroit des adultes. Sur fond de feux dans la ville, les deux adolescents verront la tendresse entre eux se transformer en une passion destructrice: un texte de Marius von Mayenburg, qui a rejoint la Schaubühne de Berlin en 1999 – Thomas Ostermeier, invité du dernier Carrefour, a porté Visage de feu sur la scène de Munich. On la trouvera ici dans une mise en scène de Joël Beddows. Une coproduction du Centre national des Arts (Ottawa), du Théâtre de l’Escaouette (Moncton) et du Théâtre Blanc (Québec), dont le codirecteur Jean Hazel assure ici la scénographie.