L’assassinat du président : Québec anticipé
Ils sont réputés pour leur insolence et leur humour trempé dans l’acide, portés par un regard critique sur les scléroses du Québec. Les membres du Théâtre du Futur poursuivent dans L’assassinat du président une aventure satirique entamée avec Clotaire Rapaille l’opéra rock. Sans toutefois atteindre le même niveau d’irrévérence.
Olivier Morin, Guillaume Tremblay et Navet Confit sont des théâtreux futuristes. Leur plaisir est de portraiturer le Québec d’aujourd’hui en se l’imaginant torturé par les mêmes problèmes, à la puissance dix, dans un futur proche. Passant les codes du roman d’anticipation au tordeur, ils s’amusent à inventer une sociopolitique inquiétante pour le Québec de 2022, dans lequel Gilles Duceppe parvient à déjouer les plans du premier ministre François Legault et à faire accéder la province à la souveraineté, avant de s’éteindre pour laisser place à une meute de chiens orwelliens aux capacités surhumaines (nous y reviendrons).
Le spectacle est pertinent et délirant, mais depuis Clotaire Rapaille l’opéra rock, l’écriture de Morin et sa bande a perdu un peu de son mordant. De cinglante qu’elle était, elle est devenue simplement moqueuse. Elle est passée du politiquement incorrect à un registre un peu plus respectueux. D’un humour hyper-culotté jusqu’à une verve plus simplement intrépide ou disons, aventureuse sans être impudente. C’est déjà beaucoup, déjà très loin de l’humour consensuel que nous servent une majorité d’humoristes, mais force est de constater que ce texte est moins effronté que le précédent. Rire gentiment de la diction de Gilles Duceppe est-il vraiment irrévérencieux? Même s’il s’agit de critiquer par la bande la mollesse des Québécois par rapport à la langue parlée, la chose me semble un brin convenue.
Pourtant, le Théâtre du Futur frappe là où ça fait mal. Sur le terrain identitaire, notamment, en imaginant des référendums perdus à répétition parce que la population est incapable de se définir et coche toujours la case «peut-être». Morin et sa bande parodient aussi l’actuelle montée de la droite en imaginant une destruction en règle de l’héritage dela Révolution Tranquille. Dans le Québec de 2022 qu’ils inventent, Stéphane Gendron est le premier ministre du Canada et l’État-providence est définitivement une histoire du passé. Le milieu théâtral n’est pas épargné: victimes de politiques libertariennes, les metteurs en scène ont cessé de travailler pour laisser Serge Postigo occuper à lui-seul toutes les scènes avec des comédies musicales commerciales. L’anti-intellectualisme typiquement québécois est aussi dûment attaqué: «Les Québécois se foutent du contenu, ils ne veulent que des émotions», lance un Gilles Duceppe frappé par un éclair de lucidité. Voilà qui mise juste. Mais, étrangement, les répliques aussi coupantes se font rares et le texte fait preuve d’une certaine retenue. Va savoir pourquoi.
Olivier Morin, dans le rôle de Duceppe, confirme son talent d’imitation et sa grande capacité à se métamorphoser (il est prodigieux). À ses côtés, Guillaume Tremblay pastiche Postigo avec talent. Mais il y a des inégalités dans les autres personnifications par Mathieu Quesnel et Catherine Le Gresley. C’est un détail, certes, mais la cohérence du spectacle en souffre. De même, je me questionne sur la forme du radio-roman, qui met en scène les acteurs dans un travail de bruitage en direct qu’ils abandonnent un peu trop vite, laissant Navet Confit se charger seul de la bande sonore pour la majeure partie du spectacle. Si ce travail sonore est sympathique, il me semble un peu artificiel. La référence aux radio-romans des années 50, dans une société québécoise encore non-affranchie du joug catholique, tombe à plat.
Dans la deuxième partie, alors que Duceppe meurt d’une mort violente après avoir mené le Québec à l’indépendance, son chien Cacahuète prend le contrôle du nouveau pays. Changement de ton: la pièce se transforme en une étrange relecture de La ferme des animaux, dans laquelle des chiens ayant appris le langage et l’exercice du pouvoir se heurtent aux mêmes problèmes que leurs prédécesseurs et affrontent une guerre sans pareil. Métaphore d’une société qui fait du surplace et se refuse à toute réelle évolution? Analogie d’une société dans laquelle se confronteront pour toujours des visions antagonistes de l’identité nationale? Un peu de tout ça, sans doute, mais l’épilogue s’étire et manque un peu de clarté. Surtout, il semble appartenir à un autre spectacle.
Jusqu’au 21 septembre au Théâtre d’Aujourd’hui (salle Jean-Claude Germain)