Le iShow : Surexpositions
Scène

Le iShow : Surexpositions

Afficher sa vie, son corps, son âme sur l’écran cathodique. Se divertir, échanger, s’exhiber ou espionner en silence, chacun pour soi. Avec Le iShow, Les Petites Cellules Chaudes montrent le meilleur du pire des médias sociaux.

Avant même que la salle soit remplie et observe le silence, la douzaine d’interprètes des Petites Cellules Chaudes s’activent devant leur écran. Leur poste de travail ressemble à une cellule anti-terroriste. La longue table anonyme, l’amas de fils, les cliquetis de clavier, une certaine tension dans l’air… Au-dessus de leurs têtes, trois écrans reproduisent leurs conversations directes et spontanées avec de purs inconnus. Un Argentin, un Français, un Canadien. Jeux de séduction avec l’un, banale discussion sur l’ennui avec l’autre, danse impromptue avec deux rigolos; les conversations s’exposent.

Création collective audacieuse, Le iShow (Sarah Berthiaume, Gilles Poulin-Denis et Laurence Dauphinais à la dramaturgie)se construit en une suite de tableaux dont le fil conducteur est cette communication instantanée via le site Chatroulette qui porte bien son nom. Tout comme le périlleux jeu russe, les échanges relèvent entièrement de l’aléatoire. Peu à peu, les interlocuteurs apprennent qu’ils font partie d’un spectacle. De part et d’autre, le jeu, sa dynamique changent tout à coup. Le charme est rompu, tout comme l’apparente confidentialité des échanges.

Des sketchs entrecoupent ce feu roulant conversationnel, comme ceux – très drôles – reproduisant des vidéos virales (Anita et Fidel Lachance, David after dentist) ou qui font l’étalage de statuts Facebook. Dans son exploration des différentes facettes de la communication instantanée, le collectif s’emploie aussi à montrer ce qu’elle a d’utile, comme dans cette retransmission des 46 SMS échangés entre une mère et sa fille cachée sur l’île d’Utoya pendant la tuerie de 2011.

Deux minutes, c’est le temps que libère le collectif pour permettre aux spectateurs volontaires de visionner l’intolérable, la vidéo d’horreur-réalité de Magnotta vue des centaines de milliers de fois. Certainement, le moment le plus percutant du spectacle. Parce que ce choix est le nôtre, parce que l’horreur est à un clic de souris, parce que les obscénités sont à la portée de tous. Et parce que, faut-il le rappeler, des victimes se cachent derrière ces divertissements éhontés. De l’autre côté de l’écran, dans les dédales les plus sombres du Web, le collectif ira loin pour dévoiler les visages de la vulnérabilité et de la solitude.

Le pari est risqué. Mais il est tenté par ces héritiers de l’ère 2.0 qui se sont trop rarement penchés sur les réels impacts de cette surexposition. En quoi est-ce que les technologies ont changé notre rapport à l’autre, notre rapport à l’intimité? Pourquoi a-t-on ce besoin irrépressible de se construire une image, de la partager et de l’alimenter? Des questions qui ont animé un laboratoire dirigé par Claude Poissant au Centre national des Arts, duquel le collectif pancanadien est né. Le iShow en est le fruit bien mûr. Un objet théâtral hirsute, certes, mais issu d’une profonde réflexion. En portant leur attention sur nos banales habitudes de socialisation virtuelle, le collectif lève le voile sur un bruit assourdissant et ininterrompu: celui des gazouillis qui inondent nos vies. Dans l’univers du théâtre multimédia où l’image supplante trop souvent le propos, voici une incarnation brillante, saisissante et bien de son temps.