Lakmé : «Brahmā queen»
Scène

Lakmé : «Brahmā queen»

Lakmé (1883) revient à l’Opéra de Montréal pour tenter de rééditer le succès qu’a eu en 2007 cette même coproduction avec Opera Australia.

On n’est pas avec la musique de Léo Delibes devant un «grand opéra» comme ceux qui donnent vraiment envie de pleurer, ou qui procurent la chair de poule, bref, qui font ressentir quelque chose. Devant cette production de Lakmé, on ressent surtout le tournis que provoque l’orgie de couleurs des décors et costumes… Oh! Le plateau est splendide, sans aucun doute, mais il est aussi massif et dense, donnant l’impression que la scène de Wilfrid-Pelletier est toute petite; en lever de rideau, on s’extasie, mais l’œil se lasse vite de ce trop plein. Enfin, cela reste en accord avec le sujet, sans doute; Bollywood n’est pas loin.

On est dans l’Inde britannique travestie par l’imaginaire français du 19e siècle, et en plus on est à l’opéra, alors il faut être prêt à tout! Prêt, par exemple, à ce que le beau soldat Gérald (John Tessier, parfait) tombe irrémédiablement amoureux de Lakmé en apercevant ses bijoux, un amour automatiquement réciproque, bien sûr, et évidemment impossible. Car en effet le père de Lakmé est le méchant Nilakantha (Burak Bilgili, convaincant), un brahmane qui n’hésite pas une seconde à émettre une fatwa réclamant la mort du soldat pour avoir respiré le même air que sa fille. Ça, c’est le premier acte, et ça prend une heure à se mettre en place. Heureusement qu’il y a le fameux duo des fleurs (Sous le dôme épais) qui vient chatouiller l’oreille; la version qu’en offrent Emma Char (Malika) et Audrey Luna (Lakmé) est charmante et parvient presque à alléger un peu le poids du décor.

C’est seulement au début du mois que l’on nous signalait le changement à la distribution pour le rôle principal, Audrey Luna remplaçant Eglise Gutiérrez, préalablement annoncée. On suppose qu’elle le savait depuis un peu plus longtemps, quand même, parce que le rôle est assez costaud, et qu’elle s’en tire fort bien. Le clou du spectacle est en effet son célèbre air des clochettes, qui met le deuxième acte sur les rails; c’est là, vraiment, que ça devient intéressant (il était temps). L’air est une enfilade de vocalises haut perchées qui amène Madame Luna très près de sa limite, les notes les plus hautes étant assez dures, mais elles les poussent, et je n’aurais pas voulu être un verre de crystal à ce moment-là… Le chœur se signale aussi durant ce deuxième acte, dès le début, place du marché; du beau travail.

L’histoire se termine évidemment par la mort de l’héroïne, trahie par le beau soldat de passage, comme Butterfly par son Pinkerton. L’Orchestre Métropolitain est dirigé correctement par Emmanuel Plasson dans une partition qui offre peu de relief.

Cette première de Lakmé se tenait 50 ans jour pour jour après l’inauguration de la Place des Arts, le 21 septembre 1963, et on était songeur devant le fait que, outre l’écran qui présente les surtitres, cette production aurait pu être donnée intégralement il y a 50 ans… À quand le 21e siècle à l’Opéra de Montréal?