Le murmure du coquelicot : La difficile harmonie des genres
Scène

Le murmure du coquelicot : La difficile harmonie des genres

Le risque était gros. Mettre cette bête spectaculaire qu’est le cirque au service d’une pièce de théâtre intimiste relevait du défi colossal. L’audacieux collectif circassien Les 7 doigts de la main a tenté l’expérience avec Le murmure du coquelicot, présenté au Théâtre du Nouveau Monde jusqu’au 12 octobre.

Pour l’occasion, les metteurs en scène Sébastien Soldevila et Shana Carroll ont imaginé une œuvre entre passé et présent, au carrefour du réel et du surréel. Acteur raté qui accumule les seconds rôles, Raymond Lemieur, interprété par un Rémy Girard égal à lui-même, se présente à une mystérieuse audition dont il ne connaît la teneur. Il y fait la rencontre de Mme B., une metteure en scène inébranlable, interprétée par Pascale Montpetit.

Au fil de leur conversation, on comprend que Raymond auditionne pour le rôle de sa vie. Le sens figuré de ce rôle laissera tranquillement la place à son sens propre, alors que les anecdotes et les émotions du passé trouble de l’acteur déchu refont surface – évoquant son passage au secondaire, ses échecs professionnels et, surtout, cet immense vide laissé par le départ précipité de sa mère. Au centre de l’action, six acrobates incarnent les différents personnages et émotions qui ont ponctué la vie de Raymond.

C’est là que toute la pertinence de la pièce réside: dans le mélange poétique du récit fort en images et des prouesses physiques des artistes, toujours exécutées avec finesse. Le charisme de la Française Émilie Bonnavaud (qu’on a vu dans Saltimbanco et du Cirque du Soleil) est particulièrement transcendant. On se serait toutefois passé du personnage latino stéréotypé de Matias Plaul, qui offre en revanche une performance acrobatique à couper le souffle.

Des moments moins réussis

Le mariage des deux disciplines étant déjà périlleux, on se demande pourquoi les metteurs en scène ont voulu en faire plus. Des passages chantés beaucoup trop longs témoignent d’un certain manque de rigueur. On pense notamment à ce moment où Raymond Lemieur s’éternise à nous chanter un passage humiliant de son enfance, celui où, en plein milieu d’un cours, il a sorti un caleçon de sa poche de pantalon sans faire exprès. Un moment maladroit, à la limite du ridicule. On peut également remettre en cause le choix de l’acteur principal. L’idée d’avoir pris l’antithèse de Lemieur, soit l’ultime acteur accompli qu’est Rémy Girard, relève d’un choix réfléchi de Sébastien Soldevila, qui a écrit le rôle en pensant spécifiquement à lui. Or est-il vraiment crédible pour ce rôle? On ne peut s’empêcher de décrocher à quelques reprises.

Reste que pour son cran, le collectif Les 7 doigts de la main mérite qu’on le félicite. Plus qu’un simple exercice de style, Le murmure du coquelicot se pose comme une œuvre complète qui allie avec tact deux langages de la scène fort différents.