L'Ouest solitaire : À l'Ouest rien ne va plus
Scène

L’Ouest solitaire : À l’Ouest rien ne va plus

Hyperréalisme, dialogues tendus, violence explosive, humour caustique et regard inquiet sur les scléroses de l’Irlande contemporaine: tels sont les ingrédients de l’œuvre orageuse de Martin McDonagh, lesquels se déploient furieusement dans L’Ouest solitaire, dans une mise en scène nerveuse, en plein dans le mille, de Sébastien Gauthier.

L’Irlande n’est pas que verts pâturages. Pas selon le regard que porte Martin McDonagh sur l’ouest du pays, en situant son intrigue dans le petit village de Leenane. L’alcoolisme torture la vie du curé de la paroisse (Frédéric-Antoine Guimond), et il n’est pas le seul à abuser de la bouteille. La haine et la violence menacent la quiétude du village: meurtres, suicides et conflits sont le pain quotidien. Cette haine ordinaire est à son paroxysme dans la bicoque crasseuse des frères Valene et Coleman, où se répètent au quotidien des guerres puériles dans lesquelles tous les coups sont permis. La violence s’érige à partir de dialogues hyperréalistes mais très construits, de manière très calculée, dans un rythme précis, à travers des échanges tac-au-tac très intempestifs. Le tout est serti d’humour noir, d’insultes savoureuses et de sarcasmes cinglants. Comédiens méconnus, Lucien Bergeron et Marc-André Thibault se révèlent brillants dans ce registre. Très fermement dirigés par Sébastien Gauthier (qui a amplement prouvé sa maîtrise de ce type de théâtre réaliste), ils sont désarmants de naturel et leur jeu physique est explosif.

La guerre fratricide, qui a lieu entre quatre murs, se drape d’une ambiance de farwest, dans arrière-plan tragique, où les notions de bien et de mal sont constamment remises en question.

Si la pièce repose sur une tension grandissante entre les deux frères et sur la crainte qu’ils en viennent au meurtre, elle agite un réseau de sens bien plus vaste. La question de l’impossibilité vivre-ensemble, d’abord, qui est au cœur de la relation tordue des frangins mais qui fonde aussi l’arrière-plan de la pièce. Dans ce village où tout le monde s’entretue, le prêtre se sent responsable et fait le constat de son échec  à créer la cohésion sociale. Aucune forme de communauté ne semble pouvoir exister à Leenane. 

Le rapport au catholicisme, religion en chute libre, est un sous-thème puissant. Pas très catholiques dans leurs comportements, les frères O’Connor vivent tout de même dans la culpabilité et s’inquiètent du regard de Dieu sur leurs frasques, surtout Valene, qui collectionne les figurines à l’image de Jésus. À travers ce personnage se tisse une réflexion sur la religion qui condamne plutôt que d’accompagner ou de guider. C’est aussi, par l’entremise du personnage de curé désoeuvré, un constat de l’absence de Dieu.

Avec leurs cheveux gras et leurs barbes hérissées, ces deux-là sont aussi emblématiques d’une société mâle dans laquelle peu de femmes interviennent et dont ils souffrent. La belle Girleen (Marie-Eve Milot), seule présence féminine dans ce huis-clos viril, réveille leurs pulsions et leurs bas instincts chaque fois qu’elle leur rend visite pour vendre de l’alcool de contrebande, mais elle demeure une inaccessible étoile, une présence lointaine. Rien pour assagir la colère des frères Oconnor.

Bref, un très saisissant récit d’aliénation rurale et de fraternité trouble, dans un climat très tendu mais non dénué d’une certaine tendresse, laquelle s’aménage par petites touches.