Théâtre à lire : Trois extraits de Né au Canada français, de Marcel Sabourin
Scène

Théâtre à lire : Trois extraits de Né au Canada français, de Marcel Sabourin

«Que le sang et l’eau qui sortirent de votre précieux côté, o bon Jésus! lavent les souillures de mon âme». C’est l’une des savoureuses phrases qu’on pourra entendre dans le spectacle Né au Canada français, dans le cadre du Festival international de littérature (FIL). Nous vous offrons quelques extraits.

Au Québec, dans une époque pas si lointaine, le catholicisme nous rendait coupables de tout et de rien. Dans son spectacle Né au Canada français, Marcel Sabourin s’amuse à retracer des sermons prononcés par des curés de paroisse ou par des évêques tout-puissants: une manière de sonder une parcelle révolue de notre identité. S’attardant aussi à d’éloquents discours politiques, parce qu’il s’intéresse à ce que révèlent de nous les prises de parole publiques, Sabourin et ses comparses Pierre Lefebvre et Alexis Martin mettent en lumière les discours d’oppression autant que les paroles de résistance.

Les trois extraits que nous avons choisis de vous faire lire font définitivement partie de la première catégorie.

 

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1. De quelques prières essentielles au fonctionnement du bon et jeune chrétien

 

PRIÈRES POUR LE MATIN

 

En se peignant

Seigneur, mon Dieu, je vous supplie très humblement que mes pensées, mes paroles et mes actions soient toujours accompagnées de votre sainte crainte, afin que jamais elle ne vous déplaisent. Ainsi soit-il

 

En se levant

Que le sang et l’eau qui sortirent de votre précieux côté, o bon Jésus! lavent les souillures de mon âme. Ainsi soit-il.

 

En s’habillant

Je reconnais, Seigneur, que le besoin de me vêtir est une suite du péché de mes premiers parents. Ne souffrez pas que je tire vanité de ce qui doit être pour moi un sujet de confusion. Ainsi soit-il.

 

En se coiffant

Mon sauveur et mon Dieu, votre divine tête a été couronnée d’épines; faites-moi la grâce de ne souffrir d’ornements sur la mienne qu’autant que la bienséance le demande, puisque la modestie est le plus bel ornement d’une fille chrétienne, et celui qu’elle ne doit jamais oublier. Ainsi soit-il.

 

Pour diriger son intention vers dieu

Je vous offre, ô mon Dieu! Les œuvres que je vais faire; puissiez-vous en être glorifié! Je les unis aux œuvres saintes que faisaient votre Fils bien aimé, Notre-Seigneur-Jésus-Christ lorsqu’ il était sur terre. Je vous supplie très humblement de m’éclairer, de me guider et de me conduire de telle sorte que je puisse en toutes choses vous plaire et accomplir votre sainte volonté. Ainsi soit-il.

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2. La vie en avion : sur les hauteurs de la foi

Mes biens chers frères,

Nous pouvons toujours voler quand il est trop pénible de marcher. À tous ceux qui veulent monter, le Saint-Esprit prête un avion mystérieux.

Le plein d’essence se fait au Baptême. Tout d’abord, la vie surnaturelle dort avec l’enfant dans son berceau. Quelques années passent; puis deux grandes ailes se déploient: la foi et l’espérance. Comme l’oiseau, l’âme quitte le nid et peut voler avec ses propres ailes, monter au ciel quand elle le veut, en ramener la joie avec la charité.

Rien ici-bas ne peut contenter l’esprit et le cœur que le bon Dieu vous a donné. Il faut chercher ailleurs, en haut. Prenez donc l’avion des anges et montez.

L’aviation, telle que nous l’entendons, n‘est pas une invention moderne. L’avion le plus ancien fut une création de Dieu. Adam et Ève y montèrent les premiers.

Après avoir été chassés du Paradis, où les sentiers étaient couverts de douceur et fleuris de chaque côté, les premiers parents trouvaient bien douloureux le chemin de pierres et d’épines.

Or, la bonté du Seigneur ne dit jamais c’est assez; elle se hâta de fabriquer un aéroplane à l’usage exclusif des deux marcheurs. Quand ils trouvaient la marche trop pénible, ils pourraient voler.

Adam et Ève montèrent si haut qu’ils virent à l’horizon lointain le Calvaire du rédempteur, et, plus loin encore c’était la terre qui se confondait avec les cieux.

Jésus-Christ est venu ensuite simplifier le mécanisme de cet avion de paradis, et de plus, enseigner l’art de s’en servir.

Le diable n’est fort contre nous que lorsque nous touchonsla terre. Ilne connaît pas tous les secrets de l’aviation. Depuis sa défaite dans les airs par les bataillons du grand saint Michel, il n’ose plus se servir de cet engin de guerre.

Au nom du père, du fils et du Saint-Esprit, Amen.

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3. Sur la liste noire? 

Je suis mariée depuis deux ans à un homme qui me fait bien vivre. Il adore notre bébé de cinq mois. Mais il prend beaucoup de boisson. Quand il est ivre, je le refuse. Est-ce permis?

– Une qui déteste la boisson

 

Oui, Madame, c’est permis.

Un homme ivre perd ses droits en ce domaine. Je dirais même qu’un tel refus manifeste une vive conscience de vos responsabilités. Vous le savez, les enfants engendrés par un père alcoolique souffrent souvent de défectuosités physiques ou mentales. Terrible est le risque de lancer dans l’existence des enfants qui mèneront une vie lourdement hypothéquée à cause du vice de leur père.

Vous avez donc le droit de refuser, mais vous n’êtes pas obligée de le faire. Si, pour un bien supérieur tel que la paix de votre ménage ou la fidélité de votre mari, il vaut mieux accepter, vous pouvez vous donner, en esprit de charité. J’ai toutefois l’impression que, dans votre cas, l’abstention peut aider votre mari à se corriger de votre ivrognerie. Inscrivez-le donc sans scrupule sur votre liste noire, les soirs d’ivresse.

Marcel-Marie Desmarais,

La clinique du cœur

1950