Villa Dolorosa : La pochitude des choses
L’automne Tchekhov

Villa Dolorosa : La pochitude des choses

Digne héritière de Tchekhov, la dramaturge allemande Rebekka Kricheldorf traduit avec une savoureuse ironie et un sens inné de l’absurde les états d’âme des bien-nantis dans Villa Dolorosa.

Éternelle étudiante changeant de concentration à chaque session, Irina (Anne-Élisabeth Bossé) reçoit le jour de son 28e anniversaire sa sœur aînée Olga (Geneviève Alarie), enseignante acariâtre, et sa sœur cadette Mascha (Marilyn Castonguay), petite bourgeoise mal mariée, dans la résidence que leur ont léguée leurs parents, intellectuels russophiles décédés dans un accident de la route trois ans auparavant.

Pendant qu’Irina se plaint que son party est poche, que le monde est poche et que la vie est poche, son frère Andrej (David Boutin), aspirant romancier paumé, intervient à tout moment pour leur demander si son seul ami (Luc Bourgeois), directeur d’une usine d’emballage marié à une suicidaire en série, est enfin arrivé.

Alors que tout ce beau monde rivalisera dans l’énumération de ses malheurs, entrera en scène la nouvelle petite amie d’Andrej (Léane Labrèche-Dor), vulgaire poulette ascendant poule pondeuse.  L’expérience se répétera l’année suivante. Puis l’année d’après…

Divisée en trois tableaux, cette transposition des Trois sœurs de Tchekhov dans l’Allemagne d’aujourd’hui de Rebekka Kricheldorf, dans une traduction à saveur locale signée Frank Weigand et Sarah Berthiaume, s’avère une vision peu flatteuse mais ô combien jouissive d’une bourgeoisie oisive et d’une jeunesse trop gâtée.

Errant dans la demeure familiale qui s’effrite, les enfants Freudenbach font l’amer constat d’être passés à côté de leur vie sous prétexte que leurs parents les ont trop nourris intellectuellement. Et bien sûr, ils le font en regardant la société de haut, jugeant sans pitié tous ceux qui ne possèdent pas leur écrasante culture, comme l’amoureuse d’Andrej, plus préoccupée par l’apparence que la substance.

Si la mélancolie est reine chez le dramaturge russe, chez l’auteure allemande, l’ironie, qu’elle manipule avec brio, est au premier plan. Les personnages, la poseuse et désinvolte Irina en tête, répètent inlassablement leurs insatisfactions et se lancent dans une autocritique se voulant lucide mais se révélant complaisante. D’une fête à l’autre, les mêmes propos, les mêmes malaises et les mêmes dialogues de sourds reviennent jusqu’à devenir allègrement puis douloureusement absurdes.

Orchestrant avec doigté ce carnage verbal, Martin Faucher accentue l’humour assassin de Kricheldorf par une mise en scène joyeusement ludique où chaque nouvel élément envahissant le décor vient accabler ces clowns tristes. Brillant de mille feux dans cet univers tchekhovien contemporain, Anne-Élisabeth Bossé est soutenue par une solide distribution au sein de laquelle se démarquent Geneviève Alarie, irrésistiblement drôle, et Luc Bourgeois, attendrissant en philosophe du dimanche.

Jusqu’au 12 octobre. À l’Espace Go.