Liklik Pik : Copains comme cochons
Scène

Liklik Pik : Copains comme cochons

Dans le duo transdisciplinaire Liklik Pik, le chorégraphe George Stamos creuse la thématique des identités kaléidoscopiques et affirme la singularité de sa signature avec une variation autour de la figure du cochon. Si tous les éléments de la pièce sont d’une grande cohérence avec sa recherche, son registre à dominante ludique et sa structure éclatée limitent l’accès à la profondeur dont elle est pourtant porteuse.

L’identité n’est pas monolithique. Elle est multiple, en perpétuelle construction et George Stamos milite dans chacune de ses œuvres pour l’acceptation de l’intégralité de ses nombreuses facettes. En l’autre et en soi-même. Dans Liklik Pik – «petit cochon» en langue de Papouasie-Nouvelle-Guinée qu’il utilise dans la pièce principalement pour sa rythmique –, il fait de cet animal le symbole de la complexité humaine et du déchirement existentiel entre nature et culture. Au fil d’une œuvre où se mêlent danse et performance, travail du son et de la voix, jeux de costumes et d’accessoires, projections vidéo et adresses au public, il transpose tour à tour les images attendrissantes des gorets bien proprets des histoires pour enfants et celles, moins séduisantes, de porcs se goinfrant, se roulant dans la fange, forniquant ou se battant pour un trognon de pomme. Candeur, fraternité, agressivité, domination et sexualité sont abordés par le duo complice et efficace qu’il compose avec le danseur Dany Desjardins, écorchant au passage certains stéréotypes masculins et pratiques artistiques.

Élément récurrent dans les œuvres de Stamos, le masque questionne d’emblée nos certitudes quant à l’identité des interprètes, vêtus à l’identique et affublés de la même tête de cochon. Pour les identifier, le regard se concentre sur leur posture et leur façon de bouger tandis qu’ils accueillent individuellement les spectateurs en engageant un rapport physique avec eux. Cette transgression de la frontière entre intimité des artistes et du public, réitérée plus tard à l’occasion d’une dégustation de cupcakes, est plus qu’un jeu avec le quatrième mur. Sous ses apparences badines, elle interroge notre posture de spectateur-voyeur et surtout, notre rapport à l’animalité et au plaisir des sens; tout comme les évocations érotiques, brèves mais néanmoins torrides, qui émaillent la pièce.

Si certaines scènes sont plus pertinentes ou plus efficaces que d’autres et si l’amalgame des disciplines en rend certaines tellement touffues qu’elles en deviennent presque illisibles, le propos sur la multiplicité identitaire est très bien servi par la diversité des physicalités explorées – mouvements déliés ou saccadés, muscles contractés, danses lascives, etc. – et par la transdisciplinarité. Mieux que jamais, les projections de Dayna McLeod construisent et déconstruisent un corps mi-physique mi-virtuel. La manipulation des voix, effectuée en direct par les danseurs, ajoute une dimension à leurs actions tout en les rythmant, et enrichit de couches supplémentaires l’atmosphère sonore pour laquelle Jackie Gallant s’est beaucoup inspirée des sonorités de la ferme et de la fête foraine. Est-ce pour rappeler que la vie n’est qu’un grand cirque, un spectacle où tout n’est à prendre qu’avec un grain de sel? C’est là l’une des raisons pour lesquelles Stamos a voulu que Liklik Pik soit légère, distrayante. Et c’est aussi sans doute ce qui a guidé son choix d’évacuer le rideau de fond de scène de l’Agora et de laisser voir, par les fenêtres du studio, les immeubles avoisinants. Ainsi, le reflet des danseurs dans les vitres crée un pont entre le quotidien et le spectacle, en plus d’offrir une autre perception du corps et du mouvement.

Pour sûr, on ne s’ennuie pas en assistant à Liklik Pik. Mais l’œuvre semble pâtir de son propre propos: à trop multiplier les changements d’états et les situations pour signifier les fluctuations identitaires, Stamos finit par noyer le poisson. Ou le cochon, si on préfère.