En-dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas : Démesure, quand tu nous tiens!
Relecture très libre du Britannicus de Racine, qui n’en conserve à vrai dire que les grandes idées, En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et qui ne s’arrête pas souffre de quelques écueils structurels mais jouit de la langue belle de Steve Gagnon. Une histoire d’amour démesurée.
C’est d’abord une pièce follement romantique, dans laquelle se déploie la quête d’absolu et d’amour de Néron. La plume de Steve Gagnon en fait un personnage plus proche de Caligula ou d’Hernani que des figures tragiques traditionnelles, bien que son entêtement et sa colère évoquent aussi la fougue d’Antigone. Magnifiquement interprété par Renaud Lacelle-Bourdon, Néron jouit aussi de textes plus élaborés que les autres personnages: plus poétiques, plus fiévreux, mieux ancrés. Le jeu très fougueux, très à-fleur-de-peau et un brin atypique de Lacelle-Bourdon rapproche le personnage de la folie, le plaçant très franchement en décalage de son entourage, et particulièrement de sa fiancée Octavie – ce qui accentue la dissonnance de leur couple, lequel sera mis à rude épreuve par les sentiments de Néron pourla belle Junie. L’amour fait perdre la raison, c’est bien connu. Et il se transmet, chez Steve Gagnon, dans une forte sexualité. Assumée, frontale, omniprésente. La démesure amoureuse, en 2013, passe forcément par là.
Sauf que cet amour pur et déraisonnable n’est pas strictement l’affaire de Néron. Chez Steve Gagnon, les sentiments sont toujours excessifs et son Britannicus (Guillaume Perreault) est aussi un amoureux transis. C’est lui, après tout, qui a gagné le cœur dela belle Junie (Marie-Soleil Dion). Dans leur toute première scène, après l’ivresse d’une relation sexuelle tronquée, il lui dira sa hâte de la trouver chaque matin dans son lit. «Demain je vais t’avoir près de moi comme j’ai en moi mon sang pis mes gênes». À travers ce personnage de beauté inaccesible, Gagnon tisse une réflexion sur le sens de la beauté dans un monde où on lui accorde trop d’importance, tout en la réduisant à des critères réducteurs issus d’une société consumériste, dopée à la blancheur des images publicitaires.
Comme d’habitude chez le fougueux auteur, les répliques fusent dans un mélange de banalité quotidienne et de langage plus fleuri, plus poétique, fortement imagé, apte à dépeindre en mots intempestifs des sentiments grandioses et puissants. Gagnon n’invente rien avec ses personnages plus-grands-que-nature, mais quand ses acteurs fiévreux lancent tout de go une parole aussi contrastée, on se dit qu’il n’a pas son égal pour inventer des héros grandioses et les faire tout de même s’exprimer à hauteur d’homme. Un mélange de foudre et de quotidienneté qui rappelle que les petits combats sont toujours plus grands qu’ils en ont l’air.
La finale de la pièce, toutefois, cause véritablement problème. Après avoir obéi à ses volontés d’absolu jusqu’à détruire le noyau familial, Néron s’affaisse et se soumet docilement à sa fiancée Octavie, qui sort de l’épreuve absolument triomphante. Gagnon ne pouvait s’empêcher de faire en sorte que le couple originel sorte vainqueur du carnage. Or, on a du mal à comprendre ce revirement soudain dans le comportement de Néron. D’autant que le personnage d’Octavie manque de chair: avant cette finale victorieuse, elle se contentait d’un rôle mineur et rien ne pouvait laisser présager son aplomb soudain.