

Déluge : De l’incapacité d’être mère
C’est l’histoire d’un enfant tragiquement disparu par la faute de Solange, femme désorientée qui en avait la garde pour quelques heures. À travers ce drame terrible, Déluge propose une plongée dans l’imaginaire torturé d’une écorchée obsédée par l’idée de la maternité. Non sans éviter certains clichés.
Anne-Marie White a une plume d’écrivain, pas de doute. Sa pièce navigue entre les registres poétiques et familiers, dans une prose fluide qui nous fait entrer dans l’esprit de sa protagoniste. Solange est une écorchée vive qui, au contact de l’enfant de sa voisine, se met à sillonner sa pensée pour y retracer des souvenirs et des méditations sur son désir d’être mère et son incapacité profonde de l’être. S’y croisent des réminiscences des figures parentales, pieux et bienveillant couple qui sème en premier chez elle le désir de reproduction, puis des rappels d’une vie sexuelle aliénante ou des souvenirs de l’enfant qu’elle était, s’occupant d’une chèvre comme de son propre enfant. À travers ces méditations se pose la grande question: comment vouloir encore faire des enfants dans un monde de désoeuvrement?
Solange, à tout le moins, ne saurait prendre soin d’un petit être. Un hamster parasite son esprit agité et l’empêche de voir clair: sur scène, le rongeur est littéralement représenté par la présence d’un homme à tête de hamster, dont les couinements provoquent en elle de douloureux électrochocs. Rien pour augmenter son estime d’elle-même. Je suis pourriture, déchet, ordure, répètera-t-elle de manière lancinante.
Tout cela est fort bien, mais pourquoi fallait-il en rajouter en dirigeant l’actrice vers une interprétation clichée qui fait d’elle une énième incarnation de la femme défavorisée des quartiers populaires, prête à ouvrir les jambes à tous vents et à se projeter constamment au sol dans le plus sale des affaissements. La richesse du texte tient à sa réflexion sur l’appel de la maternité et les hésitations d’une femme (et peut-être de toutes les femmes) devant l’ampleur du rôle de mère et devant l’absence de sens qui caractérise la mise au monde d’un être humain. Faire du personnage une marginale aux yeux cernés et à la jupe sans cesse relevée ne contribue qu’à l’isoler, qu’à transformer son dilemme en préoccupation rebelle et marginale, alors qu’il est fondamental et universel.
L’écriture est par moments très rythmée, faite de phrases courtes et de fulgurances. Or, la diction étire tout inutilement et abuse des finales ouvertes et suspendues, comme si le personnage était plongé dans un perpétuel étonnement. Or, rien ne peut justifier ceci, alors que Solange revisite des sentiments visiblement maintes fois éprouvés. Cette étrange rythmique, doublée d’une certaine affectation de la part dela comédienne Geneviève Couture, ne contribue qu’à noyer le sens dans une émotion surfaite et dans une ambiance vaporeuse qui paraît difficilement justifiable.
Les interventions des autres comédiens (Nicolas Desfossés et Klervi Thienpont), comme des fantômes surgis du passé, dynamisent toutefois le monologue et le mettent en perspective. À travers un habile travail sonore (le metteur en scène Pierre-Antoine Lafon-Simard en est maître), leurs voix arrivent à exprimer éloquemment l’agitation mentale de Solange. Sans doute est-ce aussi le rôle que jouent les images projetées en arrière-scène. Elles sont parfois peu subtiles, mais elles invitent généralement le spectateur à un fertile jeu de correspondances entre le visuel et la parole.