Marc Laberge / Festival interculturel du conte : Reconquérir le territoire
Scène

Marc Laberge / Festival interculturel du conte : Reconquérir le territoire

Jadis, le conte était ancré dans la ruralité, puis il est disparu. Puis, il est réapparu dans l’urbanité. Marc Laberge cherche maintenant à le redéployer dans toutes les régions du Québec et à l’ancrer dans un dialogue incessant avec les traditions orales du monde entier. Zoom sur le Festival interculturel du conte du Québec.

Marc Laberge est conteur, mais aussi photographe et surtout globe-trotteur. Rien de plus naturel pour lui que de diriger un festival interculturel du conte, lequel se met en branle aux deux ans sur l’ensemble du territoire québécois. Il a commencé à conter dans les années 1990, quand le conte est réapparu après des décennies de silence, alors que la parole des conteurs était écrasée, dit-il, par le pouvoir d’attraction de la télé. «Le conte est resté présent malgré le livre, malgré la radio, malgré la télé, mais il faut bien avouer que la télévision a presque failli l’anéantir. Le petit écran est soudainement devenu dépositaire de la parole; on a assisté à un phénomène de désistement de la part des conteurs, qui aussi ont été moins entendus, moins vus, moins considérés. Ça ne pouvait pas durer, heureusement, et au Québec le conte se porte maintenant assez bien: les Québécois ont redécouvert la belle simplicité du conte et le plaisir de remettre leur imaginaire en marche.»

Néanmoins, il n’est pas encore venu le jour où le conte attirera les foules dans toutes les régions. Étrangement, la parole du conteur tarde encore à reconquérir les territoires ruraux, où elle est pourtant née. Même si Fred Pellerin fait salle comble partout où il passe, son succès n’a pas encore rejailli sur les autres conteurs. «L’objectif de mon festival, explique Marc Laberge, est évidemment de ramener le conte partout où il était. Le renouveau du conte s’est positionné dans les villes, pour tenter de rejoindre un public plus vaste et, surtout, je dirais, parce qu’il y avait un besoin de revalorisation de la parole contée qui s’est arrimé à l’effervescence créative de la ville. Il faudra beaucoup de temps pour que le territoire complet soit reconquis – en région c’est un travail de longue haleine –, le préjugé voulant que le conte ne s’adresse qu’aux enfants est très tenace.»

Montréal, Ottawa, Verchères, Saint-Eustache, Québec et Lévis sont autant de villes qui accueilleront des événements du festival. Pour l’instant, la périphérie de Montréal est mieux desservie, mais Marc Laberge vise à ratisser plus large, petit à petit. On pourra y voir des vedettes québécoises du conte comme Jean-Marc Massie et Michel Faubert, mais aussi et surtout des conteurs du monde entier, dont la parole sera assurément déroutante. Laberge en fait la promesse.

«C’est un peu comme un festival des origines. Dans le conte, malgré tous les métissages formels et malgré l’évolution des prises de parole vers des formes plus éclatées, l’importance des racines demeure: chaque conte commence par un regard sur l’origine culturelle du conteur. En multipliant les regards sur les cultures, j’ai évidemment envie de favoriser la connaissance de l’autre.»

Dans le titre de l’événement, le mot «interculturel» est ainsi d’une importance capitale. Dialogues, échanges, interactions entre les cultures sont les mots d’ordre. «Amélence Darbois, une conteuse de Nouvelle-Calédonie, originaire du Congo-Brazzaville, va donner plusieurs spectacles pendant le festival. Les Africains sont très exotiques dans leur manière de raconter. La culture rurale africaine est puissante: j’ai beaucoup appris d’eux, dans leur contact avec le public, ils travaillent beaucoup avec le corps; ils sont sur la corde raide, dans un rythme différent, avec des accentuations très déroutantes. Les ruptures dans le langage accentuent l’écoute et installent un rapport ludique avec la parole, et peut-être même un nouveau rapport à la pensée.»

Le débat sur la Charte des valeurs trouvera peut-être même des échos dans la parole de certains invités du festival, lequel met le cap sur le Maghreb avec des conteurs originaires de la Tunisie et du Maroc. «De manière générale, explique Laberge, les conteurs maghrébins sont sensibles aux grands contes traditionnels comme les Mille et une nuits. On sent qu’ils sont liés aux traditions d’une manière très singulière. Mais on pourra aussi voir un spectacle d’Halima Hamdane, intitulé Laissez-moi parler, qui raconte à travers le filtre intimiste la condition des musulmanes marocaines: elle fait ressentir le fait d’être une femme assujettie à l’islam au Maghreb.»

Également à surveiller: les grands événements tels que La grande nuit du conte et le Marathon du conte, la soirée Amérindiens/Roms et la soirée des Plus belles histoires d’amour.

Le Festival interculturel du conte a lieu dans divers lieux du 18 au 27 octobre. festival-conte.qc.ca