Weather, de Lucy Guerin : Autant en emporte le vent
Scène

Weather, de Lucy Guerin : Autant en emporte le vent

L’Australienne Lucy Guerin fait un joli clin d’œil aux «pelleteux de neige» que nous sommes dans Weather qui, malgré ses redondances, séduit par la richesse d’une gestuelle servie par six danseurs irréprochables et par l’usage inventif d’une scénographie faite de sacs de plastique blanc.

Le corps d’un danseur en solo réagit au quart de tour au souffle changeant du vent qu’il reproduit lui-même avec sa bouche dans le silence. Fluide comme le brin d’herbe, léger comme la feuille morte, il en suit les dynamiques contrastées, entre bourrasques et accalmies. En débutant ainsi Weather, Lucy Guerin établit clairement les incidences du climat sur nos humeurs et la capacité de la danse à incarner ses variations. L’immense nuage de sacs plastique tissés serrés qui surplombe la scène traduit quant à lui la réciprocité des influences, symbolisant à la fois notre soumission aux caprices météorologiques et les conséquences néfastes de certains de nos comportements sur le réchauffement de la planète. Mais l’allusion s’arrête là. L’œuvre n’est pas un pamphlet écologiste, mais plus un exercice formel et visuel fort réussi.

Au fil de la pièce de 65 minutes, l’Australienne opère de nombreux passages entre l’ordre et le chaos, visiblement fascinée par la formation de tempêtes et le retour au calme. Les séquences d’unisson rigoureusement chorégraphiées, les compositions géométriques, la verticalité des corps, la pureté des lignes et la répétitivité des mouvements illustrent la mécanique tranquille des beaux jours et l’harmonie qu’ils induisent. Parmi les beaux effets ainsi créés, se trouvent les jeux de balancier avec les bras et autres figures qui exaltent les qualités d’écoute et de précision des six danseurs. Parfois, leur mécanique se dérègle progressivement, la rectitude des corps s’émoussant dans l’ondulation des bustes et des bras. Parfois, le battement d’aile d’un papillon suffit à provoquer de brusques turbulences et les danseurs s’éparpillent dans l’espace tels des billes de mercure indociles, se livrant à des improvisations où le rythme s’accélère et où se mêlent divers vocabulaires gestuels entre isolation, fluidité, syncope, amplitude, restriction, courbe, cassure, etc. Alors, le formalisme, qui aurait pu se faire ennuyeux à la longue, s’épice de surprises et devient fascinant.

Au premier quart de la pièce, le nuage suspendu lâche une pluie de sacs plastique qui recouvre la scène et les danseurs comme une bordée de neige qu’ils ne tarderont pas à pelleter de toutes sortes de façons, dessinant des images qui n’ont sans doute pas résonné dans le public de Melbourne où Weather a été présentée l’an dernier. Car Guerin avait profité de deux semaines de création à la Cinquième Salle en octobre 2011 pour interviewer des Montréalais sur leur rapport émotionnel au climat. Et si celui-ci n’est pas toujours évident à saisir sur l’ensemble de la pièce, il est d’une limpide clarté pour ce qui concerne l’amour-haine de notre «marde blanche». Dans cette scène où certains danseurs manipulent les autres comme des marionnettes ou des poupées de chiffon, il est particulièrement manifeste qu’ils incarnent autant les humains, le climat que la planète et les effets de réaction en chaine que la chorégraphe multiplie tout au long de la pièce se chargent soudain d’un sens au-delà de l’esthétique produite.

Une œuvre agréable et efficace qui porte son message sans en avoir l’air et donne envie de mieux connaître le travail de cette artiste dont les créations sont habituellement moins formelles.